Emmanuel Desrosiers, La Fin de la Terre (SF)
Emmanuel Desrosiers
La Fin de la Terre
Montréal, Librairie d’Action Canadienne Française, 1931, 107 p.
Préface de Jean-Jacques Lefebvre. Illustré par Jean-Paul Lemieux.
Je ne fais pas partie de ces amateurs nostalgiques, nécrophages littéraires, qui rêvent d’exhumer et de dévorer les restes décomposés des œuvres de science-fiction du passé. Je crois cependant en une réédition raisonnable des grandes œuvres du passé, pour des motifs historiques d’abord, par curiosité ensuite.
Si j’ai décidé de présenter un peu longuement ce « fossile » littéraire qu’est La Fin de la Terre, ce n’est strictement que pour des motifs historiques et à des fins documentaires et non parce que j’ai particulièrement apprécié cet ouvrage pour le moins singulier qui n’a même pas ce charme suranné de certaines antiquités. Pas le moins du monde…
Depuis les débuts de la parution de Requiem j’ai tenté de faire un recensement aussi exhaustif que possible de la science-fiction écrite et publiée au Québec. Or La Fin de la Terre est le seul roman d’anticipation (« merveilleux scientifique » est le terme exact employé par le préfacier) publié au Québec entre 1895, date de la parution de Pour la patrie, de J. P. Tardivel et 1962, quand paraissent les récits rassemblés sous le titre Si la bombe m’était contée (Yves Thériault), autre oeuvre-catastrophe !
À ce titre ce roman mérite qu’on s’y arrête car c’est à la fois un « monstre » littéraire et historique.
Notes sur la préface
La méfiance, voire le snobisme, affichés par l’establishment littéraire et journalistique envers les œuvres d’imagination en général, et la SF en particulier ne date pas d’aujourd’hui si on en juge par la véhémence du préfacier : « Un roman sur la fin de la Terre ? La fin de la Terre en l’an 2400 ? Chimérique invention, futile, dépense de talent ! s’écrieront les pessimistes irréductibles, les fanatiques de l’inaction, les incapables de fantaisie… » (page 1)
Refrain connu par les amateurs de SF contemporains ! Toujours selon le préfacier, ce roman de Desrosiers répond « aux besoins de notre imagination constructive ».
« C’est – caractéristique très humaine – la hantise du mystère, l’inquiétude du devenir. » (page 1)
Cette préface – chef d’œuvre de patinage et de diplomatie : l’œuvre n’étant même pas un « coup de maître » mais… « demeure une œuvre très viables »… (sic) – nous apprend en outre que l’auteur a une « source d’inspiration profonde apparemment d’abondantes, larges et très diverses études ».
Il fait probablement allusion à certaines revues techniques ou scientifiques de l’époque et que Desrosiers a certainement consulté, vu sa grande confiance dans la Science.
L’Avant-propos…
L’avant-propos de l’auteur pose d’emblée le thème central du livre, roman-catastrophe :
« Que se passerait-il si un jour la foudroyante nouvelle se répandait que notre planète va se désagréger ? »
Les causes du cataclysme ? Elles sont d’origine divines :
« L’ordre de la nature peut être changé par son créateur renversant ainsi les lois immuables de la mécanique céleste et forçant les savants sceptiques à convenir qu’un être préside les destinées éternelles des mondes. »
Nous ne nous attarderons pas sur la valeur de cette « preuve » de l’existence de Dieu mais nous insisterons plutôt sur certains aspects visionnaires de cet avant-propos.
L’auteur s’interroge sur le destin de l’humanité et de la planète et pose, avec beaucoup de lucidité les problèmes de notre époque : problèmes économiques et énergétiques surpopulation et famines organisation des nations, écologie et responsabilité des savants (considérés comme les grands maîtres d’œuvre, les politiciens étant complètement ignorés, les savants détiennent le vrai pouvoir…).
Sautant allègrement le stade du pétrole et du moteur à essence. Desrosiers passe du moteur à charbon (énergie en voie d’épuisement) au moteur à eau (source inépuisable).
Comment nourrir les milliards d’habitants de la Terre ? La solution (très moderne) se trouvera dans les océans (plancton, diatomées) et dans les aliments synthétiques.
L’avant-propos (plus intéressant que le reste de l’ouvrage) se termine par l’expression lyrique d’une confiance absolue dans la science et ses immenses possibilités :
« Dans les pages qui suivent le lecteur verra l’humanité vieillie de cinq siècles, aux prises avec le problème le plus angoissant de tous les temps : la destruction de la Terre. Les nations lui apparaîtront en fan comme unies, et luttant par la science contre les éléments de la nature désordonnée et affolée. Il suivra l’homme de ce siècle que l’angoisse torture, il le plaindra, puis il l’admirera. Alors viendra le dénouement suprême, le grand triomphe de la science, l’apothéose de l’esprit de l’homme ! »
Sans vouloir dénigrer inutilement cette belle envolée lyrique typique de cette époque, rappelons au lecteur que « cette apothéose de l’esprit de l’homme », cette grande victoire de la science sera un aller simple, en aérobus jusqu’à la planète Mars !
Résumé pour un scénario sans personnages…
L’histoire peut se résumer en peu de mots. Elle commence en 2380 à Dove Castle, situé sur les Rapides ce Lachine, près de Montréal qui compte alors dix millions d’habitants.
Deux « personnages », Herbert Stinsci et Hermann Stack, discutent tranquillement de la mort prochaine de la Terre. La vieille planète est en train de se désagrégez et des cataclysmes de plus en plus nombreux ont déjà englouti des morceaux des divers continents. Ils décident donc de mettre la population au courant et d’organiser une expédition de survie en direction de Mars. Deux problèmes mineurs : comment aller sur Mars ? Que diront les Martiens ?
Pendant qu’on prépare l’exode une voix dissidente se fait entendre, Herbrom Shnerr, qui refuse d’admettre l’évidence et qui sera donc détruit (ne s’oppose-t-il pas à l’ordre naturel des choses, à la volonté divine ?).
D’autres savants, comme le docteur Gustave Ohms deviennent fous et inventent des trucs farfelus…
Mathias Erzberger est chargé de mission sur Mars et rapporte une bonne nouvelle : « La commission Hermann Stack dont je fais partie est revenue de Mars. Nous sommes restés vingt jours dans l’unique cité martienne située sur l’île de Médée populeuse de quelques trois cent millions d’habitants. On nous a fort bien reçus et assigné tout un hémisphère pour l’installation de l’humanité. On peut y vivre convenablement, le climat est salubre ; la faune et la flore abondent. »
C’est aussi simple que ça ! Pas de xénophobie Terre/Mars ou vice et versa. L’entente cordiale, non seulement entre nations de la Terre, mais entre races et planètes différentes. Pas de problème d’adaptation au nouvel environnement, non plus !
Comment se rendra-t-on sur Mars ? Grâce à l’avion… et à une découverte ingénieuse : « il s’agissait tout simplement d’un mécanisme qui pouvait maintenir une colonne d’air de dimensions énormes au-delà des hautes régions de notre globe et au besoin de la prolonger jusqu’à Mars. »
La fin arrive plus vite que prévue et le 1er janvier 2406, l’humanité s’entasse dans les aérobus qui s’envolent jusqu’à Mars.
Plusieurs éléments de ce roman sont remarquables :
• Tous les personnages (si on peut appeler ainsi ces fantômes sans âme et sans physique) sont des scientifiques.
• L’absence totale de femmes (pas même une allusion… le mot femme n’apparaît qu’une seule fois dans tout le roman, et encore s’agit-il d’une image peu flatteuse, la Terre étant comparée à une vieille femme ridée… on trouve les mots : hommes, humains, humanité, individus, le monde, la vie humaine, le bétail, Dieu, les singes… mais pas le mot femme).
• Une certaine vision de la science et de sa mission salvatrice. L’auteur semble faire une confiance absolue à la science et s’inscrit nettement dans le courant vernien (Verne est cité par le préfacier comme un exemple, avec Wells et Rosny). En 1931 tout est encore possible et l’auteur s’extasie devant les gadgets merveilleux qu’il prévoit dans le futur :
– Les aérobus transportent des milliers de personnes entre Paris et New York et cela dans le temps fantastique de 5 heures ! Encore une fois Concorde et la réalité ont dépassé la fiction.
– Il n’y a plus d’arbres. Donc plus de papier. (Qu’ont-ils fait, Seigneur, de tous leurs bureaucrates ?). Les nouvelles sont projetées dans le ciel et sont accessibles à tous.
– Le rayon K prolonge sensiblement la vie humaine, mais le très catholique Desrosiers ne tombe pas dans l’hérésie : l’homme n’a pas découvert le secret de l’immortalité.
On aime tellement la science et la recherche qu’on en oublie de manger :
« Les hommes de ce siècle ne s’attardaient guère à table : ils avaient leurs laboratoires où des joies très pures les attendaient » (sic) page 19
Conclusion
« NAÏF », tel serait peut-être le qualificatif le plus approprié pour ce roman singulier qui a terriblement vieilli et ne peut guère plus que nous faire sourire. Toute l’action se passe sur un plan trop général. Les personnages manquent de vie et ne sont que des marionnettes symboliques. Mais l’ouvrage a certains aspects visionnaires non négligeables : la certitude que notre civilisation court à la destruction (écologie massacrée, surpopulation, famine et désastres naturels), un certain sens de l’extrapolation scientifique (alimentation du futur, les nouvelles sources d’énergie).
Et il y a cette confiance aveugle dans la science, une attitude plus que rare de nos jours, et qui peut nous donner la nostalgie de ces époques où tout était possible, où la route des étoiles nous semblait ouverte, où on espérait une sorte de République des Savants qui unifierait les nations, prolongerait la vie, vaincrait la maladie et nous donnerait les clefs de la création. Au lieu de ça on sait la route terrible que certains savants ont choisi et la bombe à neutron est plus efficace que la bombe au cobalt, les champignons atomiques plus vénéneux que ceux des sous-bois et les lueurs d’espoir ont été anéanties par les rayons de la mort…
Sur le plan littéraire ce roman est écrit dans un style simple et efficace, le récit est linéaire, sans grande originalité. Un certain abus d’exclamations et de lyrisme grandiloquent agace le lecteur contemporain.
Certains passages, par contre sont très bien réussis : en particulier la révolte sanglante des animaux qui entraîne la destruction de l’Inde
Terminons par une note optimiste :
« Montréal s’était préparée à recevoir les quelques mille membres délégués des différentes nations du globe. C’est en français que devaient se tenir les délibérations, car la vieille race canadienne-française avait résisté à l’envahissement des idiomes étrangers et conservait encore la langue pure des anciens trouvères du XXe siècle. »
Halleluia ! Qui a dit que le français était une langue menacée au Québec ? Et zut pour les Lévy-Beaulieu et autres Léandre Bergeron !
P.S. J’ai cherché ce livre (que m’a prêté Réal Tremblay) dans plusieurs librairies d’occasions de Montréal. Certains libraires étaient persuadés que je me trompais et qu’il ne s’agissait pas d’un roman d’anticipation mais d’un roman de la terre (sol, agriculture) comme Trente Arpents… J’ai eu beaucoup de mal à les persuader du contraire…
Norbert SPEHNER