Toufik El Hadj-Moussa, Les Collines de l’épouvante (Hy)
La magie n’opère plus…
C’est la même déception que j’ai éprouvée à la lecture des Collines de l’épouvante de Toufik, mais pour des raisons différentes. En fait, ce dernier recueil de treize nouvelles s’apparente beaucoup plus aux trois nouvelles groupées sous le titre de « Errance » qu’au conte intitulé Le Passage, qui avaient paru aux éditions Naaman.
Toufik ne retrouve pas le ton et la fraîcheur qui faisaient le charme de son conte merveilleux. Il s’en tient plutôt à l’insolite dans la plupart de ses nouvelles et à quelques thèmes fantastiques. La nouvelle qui donne son titre au recueil, peut-être parce qu’elle est la plus développée, est celle qui reste le plus longtemps présente à la mémoire. Ce danger diffus, ce climat d’angoisse qui gagne le narrateur, ce dosage des effets me font penser au fantastique quotidien de Michel Bélil dans ses nouvelles. On ne connaît finalement pas la nature ni les motifs de ceux qui séquestrent pendant des mois les êtres qui osent s’aventurer hors du village, la nuit tombée. Après les avoir abrutis comme des bêtes en les tenant enfermés dans une cellule obscure, on les relâche la nuit pour qu’ils sèment la terreur dans les villages.
Toutefois, la nouvelle présente un défaut de taille en faisant du narrateur et du personnage principal une seule et même personne. Le récit y gagne en vivacité et en intérêt mais il s’enferre dans l’invraisemblance à la fin. Après ces mois de séquestration et d’abrutissement, les captifs sont relâchés mais ils ont tout oublié de leur passé et en veulent aux humains qui vivent à la lumière du jour et qu’ils croient être responsables de leur déchéance.
Après une phase de désespoir intense devant mon impuissance face à la situation, mes souvenirs se mirent à s’estomper faisant place à un vide où ne subsistait qu’une rage froide contre tout ce qui aurait pu s’approcher à portée de mes mains, (p. 38)
Comment le narrateur peut-il alors résumer les faits qui ont précédé son incarcération ? Il faudrait qu’il ait été réhabilité, ce que ne laisse aucunement supposer la finale.
Cette mystérieuse machination rappelle l’énigme de Kaspar Hauser, cet enfant retrouvé un matin sur la place publique d’un village après avoir été séquestré par quelqu’un pendant des années. Encore aujourd’hui, toute la lumière sur cet événement survenu au XIXe siècle n’a pas été faite.
Les autres nouvelles du recueil sont beaucoup plus courtes : elles varient entre trois et six pages. Dans « Le Grand Écrivain », l’auteur raconte avec beaucoup de sensibilité la relation qu’entretient un vieil écrivain avec la mort et dévoile le secret de sa longévité. C’est un très bel hommage rendu à la littérature en même temps qu’une tentative pour démystifier la mort et l’apprivoiser.
Une autre nouvelle originale a pour sujet une statue qui s’incarne en la personne d’un visiteur inconnu, le soir de Noel, en pleine tempête. Toufik éparpille avec adresse les différents indices qui nous permettent de découvrir l’identité du visiteur.
Les autres récits sont plus classiques. Un locataire a pour voisin dans un appartement désaffecté, un vampire qui mène une existence nocturne. Un mari empoisonné par son épouse revient d’outre-tombe pour empoisonner à son tour l’épouse remariée avec son meilleur ami. Un adolescent noie sa petite soeur, qui est la réincarnation d’une petite soeur qui s’est noyée sous ses yeux sans qu’il ne réagisse. Un homme, après avoir été heurté par un camion, se relève, continue ses activités, revient chez lui à la fin de la journée et prend connaissance d’un numéro d’hôpital griffonné sur un papier. Il s’y rend et découvre que sa femme et ses enfants sont au chevet… de son corps. Enfin, un vieux capitaine est amoureux d’une sirène qu’il attend le soir, sur la grève, pour lui faire l’amour.
Les autres nouvelles sont réalistes, symboliques ou absurdes. C’est le cas de cette nouvelle, « Le Meilleur Ami de l’homme » dans laquelle un chien en vient à prendre progressivement la place de son maître, de sorte qu’à la fin, l’homme mène une vie de chien et vice versa. Cet absurde et cet humour noir présentent une facette inconnue de la personnalité de l’écrivain.
Par ailleurs, deux nouvelles explorent de façon différente le thème de la mort. « L’Autre Rive » propose une vision lyrique et romantique de la mort, avec ses images idylliques et paradisiaques d’un petit village tranquille qui respire la joie de vivre, images qui font ressortir encore plus crûment la laideur du quotidien du personnage principal, un chômeur alcoolique.
Par contre, « L’Au-delà » présente une image moins stéréotypée de la mort. Toufik part de l’expression consacrée, du lieu commun que la mort est une seconde naissance, et il la prend au pied de la lettre.
C’est ce qui fait l’originalité de cette nouvelle car les sensations de l’agonisant correspondent à celles du nouveau-né.
Les deux dernières nouvelles, « Les Chats » et « Incorrigible Jenny » confinent au fait divers et ne présentent aucun intérêt.
Les Collines de l’épouvante de Toufik ne soulève pas l’enthousiasme en raison du manque de relief du recueil. À l’exception de la pièce de résistance du livre (malgré une réserve sur le forme) et de deux ou trois nouvelles, le reste du recueil est sans surprise. On n’y trouve pas la même densité de climat qui m’avait séduit dans le précédent ouvrage et ce dépaysement dû à l’origine algérienne de Toufik. Le cadre des nouvelles du présent recueil n’est jamais précisé, mais c’est celui d’une société moderne, d’une ville industrialisée. Ce peut être partout, donc nulle part. Cette impersonnalité des lieux sert le propos universel de l’auteur, mais prive le lecteur de la qualité du regard propre à Toufik quand il se penche sur la société de son pays d’origine. Visiblement, il n’a pas encore appris à regarder sa ville d’adoption.
Les Collines de l’épouvante témoigne de ce manque d’enracinement dans la réalité malgré des sujets au départ réalistes qui basculent quelques fois dans le fantastique, plus souvent dans l’insolite et le symbolisme. L’écriture m’a semblé correcte. En tout cas, le rythme est alerte et l’auteur pense uniquement à mener le récit à son point de chute. L’insatisfaction générale vient de l’univocité des nouvelles, de l’incapacité de l’auteur à éveiller des résonnances profondes ou relevant de l’inconscient collectif dans la narration de ses événements. Toufik a perdu momentanément, j’espère sa touche magique.
Toufik El Hadj-Moussa, Les Collines de l’épouvante, Montréal, Desclez (Nuits d’encre, 2), 1931, 117 pages.
Claude JANELLE