Daniel Sernine, Le Vieil Homme et l’espace (SF)
Malgré son jeune âge, Daniel Sernine est déjà l’auteur de quelques livres qui en font un habitué (mais pas encore un rentier heureusement!) de l’édition. Le Vieil Homme et l’espace, le quatrième volume de la collection Chroniques du Futur, montre la maîtrise à laquelle un auteur en arrive à force d’écrire et de publier.
À vrai dire, ce recueil de six nouvelles est tout à fait remarquable, encore que ce livre, comme les trois autres qui le précèdent, ne soit pas parfaitement homogène. Je pense que l’ensemble aurait été plus percutant si le recueil avait regroupé le récit de chacune des six expéditions interstellaires du projet Exode. Malheureusement, l’auteur ne nous propose que deux d’entre elles qui constituent, à mon avis, les deux meilleures nouvelles du recueil.
J’ai un faible particulier pour « Exode 5 » qui décrit l’adaptation difficile de 1100 Exodéens qui s’installent sur une planète étrangère, qui s’apparente à la Terre, pour fonder une colonie humaine. Ils aspirent à créer une humanité nouvelle qui ne répétera pas les erreurs commises par les Terriens. Cette nouvelle présente un vaste et ambitieux projet de société qui ne se concrétisera pas.
À l’opposé, « Exode 4 » se résume à un cas de conscience individuel. Maude, le personnage principal, se demande si les Exodéens ont le droit de coloniser une nouvelle planète. Malgré toutes les précautions prises par les responsables de l’intégration à leur nouvel environnement, elle croit que la venue des Exodéens ne peut que détruire l’écosystème de la planète d’accueil. Elle endosse la conviction que l’humanité n’a pas le droit d’infliger sa présence à d’autres planètes. Elle fait donc avorter le projet de colonisation des planètes jugées hospitalières à l’espèce humaine en faussant les données recueillies par l’ordinateur du vaisseau spatial. La question fondamentale que soulève cette nouvelle concerne la survie de l’humanité. Doit-on faire confiance à nouveau à l’espèce humaine ?
Au fond, toutes les nouvelles du recueil de Sernine agitent des idées suicidaires. L’impression générale qui s’en dégage en est une de pessimisme, de désespoir et de culpabilité. Sernine condamne sans appel l’espèce humaine pour ce qu’elle a fait à la Terre. Il se situe du côté des auteurs qui ont une vision apocalyptique du futur. C’est un choix qui répond à sa perception de la réalité d’aujourd’hui. On peut ne pas être d’accord avec cette conception de l’avenir mais on ne peut la réfuter.
La première nouvelle, qui porte le titre du recueil, met en scène deux personnages qui entretiennent avec une certaine complaisance leurs instincts suicidaires. Après avoir su, de façon prémonitoire, que ses deux fils étaient sur le point de mourir, Uriel Riff démissionne devant la vie et n’aspire plus qu’à mourir. Il ira finalement se perdre en vaisseau dans l’espace mais la perte de ses deux fils n’est qu’un prétexte. N’avait-il pas l’habitude de répéter régulièrement : « L’Espace nous aura tous… » ?
La résignation et le fatalisme sont inscrits dans ce personnage. Chez son fils Stein, par contre, c’est sous le couvert de l’héroïsme et de l’amitié que s’exprime cette tendance suicidaire. Stein s’entête à voler au secours de son demi-frère Claude et sait très bien qu’il s’expose à la mort en ne voulant pas entendre raison. Il y a chez ce jeune homme à peine sorti de l’adolescence une nette tendance à l’autodestruction.
Cette nouvelle n’est pas la meilleure du recueil, car les personnages ne sont pas très crédibles. Leur psychologie est plutôt sommaire, comme l’intrigue d’ailleurs qui est prévisible. Le récit vaut surtout par ses descriptions de l’intérieur des vaisseaux et de l’installation de l’astroport Hermès, principale agglomération de la planète Mercure.
Daniel Sernine tente de conjuguer dans cette nouvelle la science-fiction et le fantastique. On peut dire qu’il y réussit. L’Espace devient une entité vivante, une puissance intangible et immatérielle qui se montre hostile à l’homme qui viole son intimité. Les fléaux et les catastrophes qui se produisent dans l’Espace procéderaient de cet esprit « mauvais » en seraient les manifestations d’hostilité. Tant que la science n’aura pas expliqué les hypénars, les gouffres sidéraux et les orages magnétiques, le fantastique y trouvera son compte et un terrain de prédilection.
Dans « La Planète malade d’humanité », Sernine multiplie les manifestations de désespoir collectif, lequel s’exprime de trois façons sur cette Terre devenue un enfer quotidien. Les Suicidaires préconisent l’élimination de l’humanité de façon pacifique. Les adeptes de cette religion se suicident en groupe, en se jetant en bas d’édifices par exemple. Les Nihilistes agissent pour des motifs politiques et s’attaquent aux multinationales, aux pollueurs et aux exploiteurs. Conscients du déclin de la civilisation, ils veulent en hâter la chute en suscitant le chaos. Quant aux Déments, ils sont constitués de bandes de délinquants qui haïssent la société et frappent aveuglément.
Encore là, l’auteur défend la thèse de l’élimination de l’espèce humaine. « Il n’y a que les Terriens pour se croire si importants, et c’est par cet anthropocentrisme qu’ils se justifient de saccager la planète où ils sont nés ». Sernine donne un aperçu de ce que serait la Terre débarrassée de l’engeance humaine dans « Fin de règne ». Les derniers vestiges d’une civilisation avancée sont sur le point d’être effacés par une végétation luxuriante. Il ne reste plus que dix mille humains environ sur la planète et ils refusent de plus en plus de procréer parce qu’ils ont perdu espoir et ne se considèrent plus comme les êtres supérieurs de la Création.
En effet, ils sont les derniers représentants de la race humaine sous forme animale car il y a cinq siècles, 94 pour cent des humaines avaient accédé à un stade supérieur de leur développement en se débarrassant de leur enveloppe charnelle. Le seul espoir pour Xavier réside dans la possibilité qu’un des vaisseaux faisant partie de l’expédition de l’Exode, partis avant que ne survienne cette mutation de l’espèce, revienne sur la Terre.
C’est bien la seule lueur d’espoir qui réussit à se glisser dans le recueil car la nouvelle précédente, « Boulevard des étoiles », décrit aussi une fin de civilisation dans laquelle les survivants tentent d’oublier la triste réalité en participant chaque soir à une illusion de carnaval, en se droguant et en faisant l’amour de façon épidermique, sans véritable sentiment.
D’ailleurs, les sentiments intéressent peu Daniel Sernine, contrairement à René Beaulieu dont le romantisme est la raison d’être de son écriture. Sernine préfère soulever des questions d’ordre moral, faire le procès d’une civilisation. Il préconise des choix sociaux en abordant les thèmes suivants: la pollution, l’eugénisme, l’euthanasie, le progrès, la colonisation de l’espace, l’énergie nucléaire. Les préoccupations sociales de Sernine sont fort pertinentes et dénotent qu’il est attentif à ce qui l’entoure.
Cet engagement m’a étonné chez cet auteur, mais encore plus la richesse de son argumentation lors de discussions philosophiques portant sur la civilisation humaine de même que la solidité de ses raisonnements. La construction de ses intrigues est inattaquable car il envisage toutes les possibilités qui se présentent. L’explication qu’il nous donne de tel événement répond à une logique rigoureuse, articulée et claire. Il n’abuse pas de la connaissance et de la caution scientifique, de sorte que ses nouvelles sont accessibles au profane comme à l’initié de la SF
C’est avec la même modération qu’il introduit dans ses récits des néologismes qui font image. Le seul reproche qu’on peut formuler à propos de l’écriture concerne l’utilisation de la virgule. Je sais qu’on est en période de restriction budgétaire, mais est-ce une raison pour économiser les virgules ? C’est souvent une question de respiration pour la phrase: il faut avoir l’oreille fine pour bien la ponctuer.
Le Vieil Homme et l’espace présente un bilan extrêmement négatif de la présence humaine sur la planète Terre et dans le Cosmos. Le malaise et le sentiment de déprime qui assaillent le lecteur tout au long du recueil vient peut-être du fait que Daniel Sernine n’a aucune solution à proposer, sinon une solution extrémiste et globale: l’élimination de l’espèce.
Entre les lendemains qui chantent et le requiem d’une civilisation, il me semble qu’il existe encore plusieurs alternatives, plusieurs avenues à explorer Pour Sernine, l’idée même d’un nouveau départ est grandement hypothéquée par l’essence humaine. « Exode 5 », qui s’apparente au début à une Utopie, se termine sur un échec. La cause a été entendue, le jugement rendu. Rideau.
Daniel Sernine, Le Vieil Homme et l’espace, Longueuil, Le Préambule (Chroniques du Futur, 4), 1981, 239 p.
Claude JANELLE