Pierre Paul Karch, Nuits blanches (Fa)
Prise de Parole est une maison d’édition franco-ontarienne qui existe depuis 1973. Installée à Sudbury elle a publié à ce jour une trentaine d’ouvrages parmi lesquels on trouve un recueil de contes fantastiques de Pierre Paul Karch, Nuits blanches. L’auteur est né à Saint-Jérôme et il enseigne à Toronto depuis 1967. Il a 40 ans.
Si le recueil n’était pas identifié, on pourrait croire facilement qu’il fait partie de la collection « Nuits d’Encre », chez Desclez, tant le ton du recueil, les sujets abordés par l’auteur et l’écriture participent du fantastique d’arrière-garde publié chez Desclez. En effet, Nuits blanches contient des contes fantastiques plutôt traditionnels et classiques, de même que quelques nouvelles où prime l’insolite. Mais l’ensemble du projet littéraire ne vole guère très haut. Outre le fait que les sujets ne sont pas très originaux, l’oeuvre souffre de plusieurs faiblesses au niveau de la construction.
Ainsi, dans « La Partie de chasse », l’auteur a choisi de raconter l’histoire sanglante d’un propriétaire d’une plantation en Louisiane, il y a deux siècles. L’évocation du climat humide et de la végétation luxuriante qui caractérisent le pays des bayous est réussie mais Karch crée un effet de distanciation qui désamorce toute la séduction du texte en faisant de ce récit une légende rapportée deux siècles plus tard par une femme de la région à un touriste de passage.
Ce procédé narratif en tant que tel peut parfois être efficace quand l’auteur le maîtrise au point de faire oublier au lecteur qu’il est dans un récit. Ce n’est pas le cas de Pierre Paul Karch qui laisse intervenir constamment le touriste (et narrateur) dans le cours du récit, rappelant ainsi qu’il ne s’agit que d’une histoire qu’on tente de faire revivre par la parole.
Ailleurs, comme dans « La Bague », ce sont les dialogues qui clochent et qui sonnent faux. Un ami médecin arrive pour soigner Monsieur Gilles et s’exprime en ces termes : « Mon pauvre ami, comme vous voilà ! Pourquoi ne m’avoir pas appelé plus tôt? Je ne sais si je puis vous guérir tout à fait, mais je puis du moins tenter de vous soulager. » Je veux bien croire que Monsieur Gilles appartient à une classe sociale privilégiée, puisqu’il possède deux serviteurs, et qu’il ne parle pas la même langue que le bas peuple. Mais je doute que cette langue, dont les tournures d’expression appartiennent au XIXe siècle, traduise fidèlement la réalité sociologique du personnage principal.
Si l’action se passe effectivement au siècle dernier, l’auteur n’est pas suffisamment explicite à ce sujet. Si, par ailleurs, l’action s’inscrit dans le présent, la langue affectée et ampoulée des personnages se trouve en porte- à-faux avec l’époque. Mais l’erreur la plus grave commise par Pierre Paul Karch est de sous-estimer le lecteur. Ainsi, il insiste lourdement sur certaines explications pour s’assurer que le lecteur a bien compris ce qui était déjà très clair.
Dans « Les Protéons », il fait dire à un personnage, dans un dialogue répétitif qui manque de naturel : « Essaies-tu de me dire que ces fourmis, comme tu les appelles, avaient mangé les habitants de cette ville, s’étaient regroupées pour prendre la forme de leurs victimes et avaient gardé cette formation jusqu’à votre arrivée, soit des centaines d’années, peut-être? »
En somme, l’auteur par l’entremise d’un des deux protagonistes de l’action, résume les quelques pages qui précèdent sans que la nécessité en soit démontrée. Sans doute est-ce là une vieille habitude de professeur! Une déformation professionelle, quoi !
Cette citation a aussi le mérite de situer le genre de fantastique pratiqué par l’auteur et de traduire la maladresse de l’écrivain. En effet, on sent constamment la présence du pédagogue derrière l’écriture et les dialogues. En résumant l’intrigue, l’auteur donne aussi sans le vouloir des indices probants qui permettent de découvrir bien avant la fin le dénouement de l’histoire. Celle-ci n’étant déjà pas particulièrement originale, le texte ne survit pas à une telle maladresse, surtout en fantastique. Relisez la citation et dites-vous qu’une équipe de médecins, de biologistes et d’égyptologues s’apprête à ouvrir un sarcophage. Je suis sûr que vous pouvez déjà imaginer la conclusion du récit.
En outre, cette citation est représentative des dialogues de Karch. Il privilégie cet instrument de narration afin de rendre plus vivant le récit, ce à quoi j’applaudis. Mais la technique n’est pas au point. La plupart du temps, il s’agit d’un faux dialogue car l’un des deux interlocuteurs n’est qu’un faire-valoir, un accessoire encombrant. Ce n’est pas un hasard si la meilleure nouvelle, à mon avis, laisse très peu de place aux dialogues. L’intérêt s’en trouve préservé jusqu’à la fin.
Cette nouvelle présente une réflexion sensible et mythocrate sur le rôle de l’artiste. Solange est obsédée par une forme qu’elle a entrevue pendant une seconde et qu’elle essaie de reproduire dans la pierre. Comme tous les artistes, elle cherche à donner vie à son oeuvre, à recréer si parfaitement l’illusion de la réalité que la matière, inerte avant qu’elle soit travaillée par le sculpteur, en vienne à s’animer. Solange atteint cette perfection et se laisse subjuguer par son oeuvre (un homme nu, étendu dans une pose invitant à l’amour) qui lui prend son âme. Cette belle allégorie sur l’art et les dangers qui guettent l’artiste qui s’y abandonne totalement rappelle une nouvelle de Claude Boisvert dans Tranches de néant, « La Fresque ».
Pour le reste, le recueil de douze contes reprend des thèmes classiques dans le fantastique qui n’ont pas tous cette richesse d’évocation même s’ils s’alimentent aux sources universelles de la peur et de l’angoisse. Ainsi, le fantastique serait un miroir des instincts primaires de l’individu. Quand il est assorti d’une réflexion métaphysique comme dans « Solange » ou d’un message moralisateur comme dans « La Tablette de verre », c’est que l’auteur dépasse son rôle d’émetteur et qu’il interprète les phénomènes qu’il révèle.
Ainsi, dans « La Tablette de verre », l’écrivain dénonce les usuriers qui dépouillent leurs victimes. Une bibliothèque vitrée, confisquée par un usurier servira à venger celui qui la possédait et ceux qui se porteront acquéreurs de ce meuble subiront le même sort que l’usurier. Ce thème de l’objet maléfique, repris par l’auteur dans « La Bague » et « Le Marteau », donne souvent lieu à des conclusions moralisatrices, car le châtiment de la victime survient à la suite de gestes et d’actes qui vont à l’encontre de la justice, de la générosité, de la pitié, du respect ou de la morale admise.
Ces objets maléfiques sont parfois emportés par leur furie justicière au point de ne plus discerner ceux qui ont péché de ceux qui sont innocents. D’instruments de la justice divine, ils deviennent des outils du diable, des suppôts de Satan. C’est pourquoi il n’y a guère de recueil de contes fantastiques qui ne mettent Pas en scène une manifestation du diable. Nuits blanches n’y échappe pas.
Dès la deuxième nouvelle, « Le Vestibule de la mort », le diable mène… le diable justement et fait un beau charivari. Ce type de récit représente, à mes yeux, l’expression même d’un discours religieux qui ne cherche même pas à s’afficher autre. Au moins, chez des romanciers catholiques comme Julien Green et François Mauriac, tout ne se réduisait pas à une simple question de foi, alors que la foi est le seul ressort de la nouvelle de Karch.
Bref, Nuits blanches ne m’a pas fait passer de nuits blanches, malgré la promesse du titre. Karch réussit à recréer des atmosphères et à meubler des paysages mais il manque ses effets en ne maîtrisant pas suffisamment toutes les facettes de l’écriture : les dialogues, la narration le ton, la construction du récit…
Nuits blanches, par Pierre Paul Karch. Sudbury, Éditions Prise de parole, 1981, 95 p.
Claude JANELLE