Florent Laurin, Erres boréales (SF)
Erres boréales est paru en 1944 sous la signature de Florent Laurin. En réalité, il s’agit d’un pseudonyme puisque l’auteur véritable est le père Armand Grenier qui signera plus tard, sous le nom de Guy René de Plour, un roman d’anticipation intitulé Défricheur de Hammada.
Erres boréales apparaît comme un sous-produit de Pour la Patrie de Jules-Paul Tardivel en ce sens qu’il exalte lui aussi le sentiment nationaliste des Canadiens-français et la fierté de la race. Le récit de Florent Laurin ne laisse pas d’être édifiant et conformiste.
L’auteur situe son récit en 1968, ce qui lui donne au départ un cadre futuriste. Le romancier a imaginé qu’un groupe de jeunes idéalistes a réussi à réaliser leur rêve de conquérir les territoires de l’Arctique. Ils ont en effet installé sous les détroits des réseaux d’appareils électriques qui élèvent et maintiennent à la température initiale du Gulf Stream la masse mouvante du grand courant polaire. Il s’ensuit un bouleversement bénéfique de l’écosystème du Grand Nord.
La végétation se développe sous l’influence des courants chauds et cette terre naguère inculte et inhospitalière devient fertile et accueillante. Les Québécois font reculer de plus en plus les limites de la civilisation blanche. Grâce aux nombreuses sources hydro-électriques de ce territoire, les conquérants du Nord y bâtissent des usines qui transforment les minerais de toutes sortes dont regorgent ces terres septentrionales.
Cette conquête du Nord jusqu’au cercle polaire et le développement du Québec par son formidable potentiel hydro-électrique confèrent au roman une certaine actualité. Sur ce dernier point, l’auteur a vu juste. Toutefois, on aimerait savoir en vertu de quoi le Québec a pu réclamer sans coup férir la juridiction sur ces territoires. L’auteur reste muet sur cet aspect.
Là où Erres boréales accuse le poids de ses années, c’est au chapitre de l’écriture et du projet de société imaginé par l’auteur. L’écriture est grandiloquente et édifiante. Elle est au service de l’idéologie prônée par l’auteur, à savoir l’édification d’une société fondée sur le catholicisme et la culture française. Même si Florent Laurin aborde avec respect la culture esquimaude, il se glisse dans son attitude une certaine forme de colonialisme culturel dû à la certitude qu’il entretient que sa culture est supérieure à celle des indigènes. Sa ferveur est telle qu’il ne se rend pas compte de sa condescendance.
Si Erres boréales peut être considéré comme un roman de science-fiction, c’est bien plus en raison de son postulat de départ que pour le discours narratif proprement dit. En effet, à part cette invention révolutionnaire qui permet de domestiquer les terres de l’Arctique, on compte peu de descriptions d’objets futuristes. Tout au plus se déplace-t-on à de plus grandes vitesses et en engin volant, ce qui n’a rien d bien extraordinaire.
En outre, il ne s’agit pas d’un roman d’action, mais d’un récit de voyage à travers ce territoire nouvellement conquis par l’homme du Sud. Florent Laurin ne propose aucune intrigue dans son roman et à peine s’intéresse-t-il à quelques personnages. Mais jamais ceux-ci ne relancent le récit. La majeure partie du livre est constituée de descriptions de paysages. Tout est prétexte à énumérer, dans chaque région visitée, la liste des minerais qu’on y trouve dans le sous-sol, les fleurs qui y poussent, les arbres qui s’y développent.
L’auteur utilise un style lyrique et poétique pour célébrer les magnificences de la végétation, la beauté de la nature et l’effort gigantesque de l’homme pour mettre cette nature à son service. Erres boréales ressemble par moments à un grand poème écrit par un Parnassien qui serait converti aux bienfaits de l’industrialisation. Car c’est bien le progrès que l’auteur défend sans réserve, sans envisager le moindrement ses conséquences parfois désastreuses.
Le roman de Laurin aurait pu être plus intéressant si l’auteur avait donné plus de consistance à ses personnages. Après nous avoir présenté Louis Gamache, un vieil homme qui a connu ces territoires septentrionaux avant qu’ils soient colonisés, l’auteur abandonne pendant plusieurs chapitres son personnage pour nous révéler son secret dans le dernier chapitre. Le dénouement ressemble à ces mauvais mélodrames où tout le monde se découvre des liens de parenté.
Ainsi Louis Gamache lève le voile sur son passé dans son testament. Après avoir perdu sa femme deux ans après son mariage, Louis a quitté Québec et a rejoint les Esquimaux avec lesquels il avait déjà vécu. Il y prend épouse mais les circonstances l’obligent à quitter la tribu. Ses tribulations le mènent ensuite en Europe où il s’installe durant plusieurs années. Avant de mourir il refait le voyage qui l’avait amené aux frontières du cercle polaire.
Ses deux petits-neveux, Gaston et Normand, attirés par le défi que représente la mise en valeur du territoire, s’y installent à demeure. Gaston tombe amoureux d’une esquimaude, Toutillia, tandis que Normand a le coup de foudre pour une jeune fille, Nicole Belcourt, qui travaille dans un hôtel de villégiature. On apprend finalement que Louis Gamache a eu un fils de sa femme Toutillik et que ce fils est le grand-père de Toutillia, l’amie de coeur de Gaston.
L’auteur semble avoir perdu en cours de route son projet initial puisque le roman se termine dans une apologie de la famille et du mariage. Catholicisme oblige et l’auteur se fait fort de rappeler à ses personnages leurs devoirs religieux. L’omniprésence de la religion et les exigences de la morale donnent un aperçu de l’époque On ne peut qu’être agacé par ce climat religieux et cette vision chrétienne qui ramène tout à Dieu.
Si, sous cet aspect, le roman de Laurin a terriblement vieilli, il en est de même du ton et de la langue utilisés par l’auteur. L’écriture de Laurin s’apparente à la poésie de Paul Morin. Son rythme est ample et la grandiloquence des mots vise à exalter la fierté du lecteur devant la somptuosité et la démesure du paysage. L’auteur se laisse emporter par son enthousiasme :
Oh ! ce fleuve doux et grand dont la calme couvre la gloire des anciens jours glorieux ! Quand, à la vue impressionnante de son placide repos, le spectateur demande ce qui hante le plus son rêve, du sillage dont il s’émut à l’entrée de la première escadre de France ou de l’heure où sombre sur nos remparts le valeureux drapeau, son âme répond que, supérieure à tous les coups du sort, elle reste en tout temps sereine comme l’espérance et forte comme les héros, (p.34).
On voit que l’écriture n’évite pas toujours la redondance inutile et qu’elle ne se distingue pas par sa retenue. L’auteur cultive aussi un goût immodéré pour l’expression recherchée et le mot rare et scientifique. D’ailleurs, il fait suivre son roman d’un lexique qui contient une dizaine de pages. Les noms de minerais et de plantes y occupent une place de premier choix.
Plus qu’un récit de science-fiction, Erres boréales de Florent Laurin est un roman qui flatte le nationalisme des Canadiens-français de l’époque. L’auteur y décrit sommairement un projet susceptible de mobiliser les forces vives de ce peuple trop souvent dépossédé de son territoire. Laurin lui fournit l’occasion de rebâtir sa confiance, de se prouver qu’il est capable de grandes choses. Mais le romancier privilégie cet objectif nationaliste au détriment de l’intrigue et de l’action. Le projet romanesque n’aboutit pas, écrasé qu’il est par l’utopie et l’hymne à la nature.
Erres boréales laisse voir ce que serait un Québec expansionniste avec la bénédiction de Dieu. La vision de l’auteur ne manque pas d’ambition mais sa description n’a de cesse d’être ennuyeuse et emphatique. C’est toute une corvée que de terminer la lecture de ce livre car après les vingt premières pages, le lecteur est convaincu que ce qui suit ne changera rien à son opinion. De chapitre en chapitre, les descriptions succèdent aux descriptions sans rien apporter de plus au tableau général. L’art d’accumuler des mots pour faire des phrases, des paragraphes sans nécessité.
Claude JANELLE