Louise Darios, Le Soleil des morts (Hy)
Le Soleil des morts (Louise Darios)
Le soleil des morts, c’est le soleil de tous ces êtres qui peuplent le recueil de nouvelles de Louise Darios, ces êtres qui sont tous ni plus ni moins des morts en sursis à cause de l’intolérance des hommes et de leur bêtise. Que ce soit au temps de l’Inquisition, au début du présent siècle ou dans un avenir rapproché, l’homme est un loup pour l’homme et les forces de l’amour sont impuissantes à contrer les manifestations de la mort sous ses diverses formes et à conjurer la venue de l’apocalypse.
Dans la plupart des nouvelles de ce recueil, l’amour apparaît comme un rempart dérisoire contre la mort, quand elle n’en est pas tout simplement le catalyseur.
Dans « Les Visages », l’amour de David et de Pétra est réprouvé par la société espagnole pour des raisons religieuses. En ces temps de l’intolérance que fut l’époque de l’Inquisition, les Juifs étaient persécutés et même les convertis étaient soupçonnés de pratiquer secrètement leur religion.
La nouvelle de Louise Darios prend une coloration fantastique en se déroulant à deux époques différentes. Le destin du couple est commenté dans la pierre d’une dalle d’une demeure de San Pedro. Des visages y apparaissent, tristes à mourir. Ce sont les visages des suppliciés qui se lamentent, plusieurs siècles après leur mort.
En contrepoint de ce fanatisme, religieux qui fit un grand nombre de victimes se dresse la fureur de la terre elle-même qui vient prélever son lot de vies humaines. San Pedro est un village minier pauvre. C’est maintenant le capitalisme qui fait des victimes quand des accidents se produisent à la mine. Paco, le propriétaire de la maison où sont apparus les visages dans la dalle, est au nombre des mineurs emprisonnés vivants dans les galeries de la mine. Quand sa femme Carmen rentre chez elle ce soir-là, elle aperçoit le visage de Paco à travers la dalle.
Dans « La Mer était vivante », Louise Darios imagine une société étouffée par la pollution de l’air et de l’eau. Un groupe de douze jeunes gens guidés par le dernier marin du pays partent à la recherche d’une île qui ne serait pas polluée afin d’essayer de recommencer à zéro une nouvelle humanité. Ils ont baptisé cette quête l’Opération Survie. Ils découvrent finalement une île épargnée par les algues qui sont en train de tuer tous les éléments vivants de la mer.
La petite colonie s’adapte à son nouveau milieu et redécouvre le contact avec la nature. L’opération Survie semble réussir car le groupe subvient à ses besoins. En outre, l’une des femmes est enceinte. Mais…
Cette vision extrêmement pessimiste de l’avenir de la planète rappelle celle d’André-Jean Bonelli dans Loona ou autrefois le ciel était bleu, sauf que ce dernier ne rayait pas l’espèce humaine de la surface de la terre.
C’est aussi une image d’apocalypse que Louise Darios propose dans « Le Mercredi des cendres », dans « La Marée rouge » et dans « Un appel d’outre-tombe ». En fait, toutes les nouvelles de science-fiction de ce recueil ont pour sujet principal l’imminence ou l’avènement de la fin du monde. C’est toute l’humanité qui est en cause tandis que dans les nouvelles fantastiques, c’est une société en particulier qui est mise en accusation parce qu’elle se montre fanatique, injuste ou trop rigide.
Le Soleil des morts est un appel à la tolérance, à la compréhension et à la justice sociale. Il montre les effets désastreux du fanatisme religieux, social et politique sur l’humanité. L’efficacité dramatique de ces nouvelles repose sur le style sobre et direct de l’écrivaine. On pourrait la chicaner un peu sur les relents de mélo qui traînent dans ces textes mais la plupart du temps, elle réserve une juste part à l’émotion.
Le Soleil des morts exprime aussi le formidable désir de vivre qui galvanise l’homme et l’aide à affronter les plus grandes difficultés. Les personnages de Louise Darios ressemblent parfois à des cobayes qu’on aurait placés dans des situations de crise pour évaluer leur comportement et mesurer comment opère l’instinct de survie. Le thème du recueil (la destruction de la planète, l’extinction de la race humaine) et l’universalisme du propos et des situations n’est pas sans rappeler le réquisitoire anti-nucléaire qui se trouve dans Si la bombe m’était contée d’Yves Thériault, paru en 1962. Vingt ans plus tard, le propos est plus que jamais d’actualité.
Le Soleil des morts, par Louise Darios, Sherbrooke, Éditions Naaman, 1982, 179 p. Recueil.
Claude JANELLE