Roland Bourneuf, Reconnaissances (Hy)
L’impression première qui vient après la lecture de Reconnaissances de Roland Bourneuf en est une d’unicité tant le thème du voyage rejette tous les autres dans l’ombre. Mais une réflexion plus poussée nous permet de saisir une infinité de thèmes tels que l’art, la culture, l’antimilitarisme, l’amour, l’absurdité, le rapport de l’homme avec son environnement, le sacré. Les 43 récits de Bourneuf sont autant de manifestations de vie, qu’elle soit végétale, animale ou minérale.
Ce sont de petits flashs dans lesquels sont condensées des existences entières ou qui étirent démesurément un instant de vie tel « Le Dernier Combat » qui raconte la seconde précédent la mort d’un gladiateur sur le sable d’une arène.
Les personnages de Bourneuf traversent des contrées désertiques, suivant des sentiers interminables à travers la forêt, franchissent des distances énormes pour arriver finalement à destination. Ces voyages ont valeur de quêtes mystiques, d’épreuves initiatiques. On pense à La Montagne sacrée d’Alexandro Jodorowski, même si le recueil de Bourneuf ne recèle pas de violence excessive et tout le bazar de monstruosités qui a fait le succès du cinéaste. L’angoisse y est plutôt diffuse, sans origine précise. Le refus de nommer les sentiments, les buts et les personnages eux-mêmes participent d’ailleurs d’une esthétique propre à l’écrivain.
Bien souvent, ces courts récits ne reposent que sur une idée, ne décrivent qu’une image. Et cette image ou cette idée est pour le moins singulière, insolite, surréaliste à l’occasion ou fantastique.
Ainsi, dans « Le Doigt », le personnage se rend compte qu’il y a un petit orifice à la base de son doigt. Il tourne sa main et son doigt se vide de menus cailloux et de poussière jusqu’à disparaître complètement. Il répète l’expérience avec les autres doigts et le même phénomène se produit. Le personnage conclut : « Il faudra que je continue à chercher sur d’autres parties de mon corps, peut-être cette découverte me sera-t-elle utile » (p.29).
Il faut voir, à mon avis, dans ce récit, une dénonciation de l’aveuglement de l’homme qui, souvent, perd de vue le but de sa recherche scientifique pour se laisser obnubiler par les résultats. On sent dans ce récit que le bonhomme risque de disparaître complètement avant d’avoir pu résoudre l’énigme. Et pourtant, il n’est pas conscient du danger qui le guette. Cet enseignement rappelle l’absurdité de certains contes de Jolis Deuils de Roch Carrier.
Dans « L’Emmurée », il est assez étonnant de voir que l’auteur aborde deux thèmes classiques dans deux pages sans parvenir à les relier entre eux. Dans un premier temps, le personnage s’aperçoit que le miroir ne lui renvoie pas une image exacte de lui-même au moment où il s’y regarde. Le miroir est désynchronisé par rapport au temps réel du personnage. André Carpentier a déjà utilisé ce thème avec succès dans « Jorge ou le miroir ».
Dans un deuxième temps, le personnage s’aperçoit que sous le miroir se précise petit à petit le visage d’une femme. Il a pitié de la solitude qu’il lit dans ses yeux et il approche ses lèvres de l’endroit où doit être la bouche de la femme. Il y a chez Bourneuf des moments de tendresse et d’amour qui tempèrent le climat généralement pessimiste du recueil. En fait, ce n’est pas tant un sentiment de désespoir qu’un sentiment de futilité et d’impuissance qui se dégage de plusieurs récits.
Rien n’est moins monolithique que le recueil de Bourneuf. Certes, le voyage et l’existence, donc l’espace et le temps, sont très souvent au centre des récits mais ils ne signifient pas toujours la même chose, ils ne sont pas au service d’une théorie qui viserait à prouver ce que l’auteur avance. Il n’y a pas de propension au dogmatisme chez Bourneuf. Cette ouverture d’esprit, cette générosité sont le fait d’un authentique poète qui se refuse à jouer au gourou de la métaphysique.
Reconnaissances, par Roland Bourneuf, Ste Foy, Éditions Parallèles, 1981, 100 p. Recueil.
Claude JANELLE