Gilles Tremblay, Les Nordiques sont disparus (SF)
Les intellectuels ont généralement mauvaise conscience devant le sport, qui constitue pourtant un des éléments importants de la culture d’un peuple. Comment arriver à réconcilier leur intérêt pour la littérature et leur passion pour le football, le baseball ou le hockey ? Les Nordiques sont disparus aurait pu remplir ce rôle.
Gilles Tremblay montre l’importance du hockey dans la vie des Québécois mais il n’analyse pas ce phénomène de masse. Il s’en sert plutôt comme prétexte pour élaborer une histoire de voyage dans le temps. En fait, l’utilisation du sport et du nom des Nordiques fait de ce roman d’abord et avant tout une opération commerciale. On en a une preuve évidente à la lecture de l’échange de correspondance reproduite au début du livre, entre l’auteur, l’éditeur et la direction des Nordiques.
Il reste que Les Nordiques sont disparus est aussi un roman de SF. L’astuce du voyage dans le temps fait que, même si on connaît le sort des personnages dès le milieu du récit, on ne le connaît pas vraiment car l’avenir peut être modifié si on intervient dans le passé pour changer le dénouement de certains événements.
Ainsi, le lundi 15 mars 1993, la foule qui assiste au match entre les Nordiques et le Canadien, de même que les joueurs, disparaissent sans laisser de trace. Il n’y a plus âme qui vive dans le Colisée. Où sont passé toutes ces personnes ?
L’histoire se défend assez bien, à condition d’accepter les limites inhérentes au thème même. En effet, Tremblay n’a pas su résoudre le problème de la répétition, de plus, on devine les rebondissements de l’intrigue.
Ce qui est intéressant, par contre, c’est la volonté bien arrêtée de l’écrivain de privilégier la couleur locale et d’utiliser plusieurs référents culturels comme la passion du hockey chez les Québécois, le statut politique du Québec, le phénomène des lignes ouvertes. Gilles Tremblay escamote cependant les questions fondamentales. On aimerait savoir en quoi, par exemple, la disparition de quinze mille personnes au Colisée est liée au statut politique du Québec. L’écrivain se perd plutôt dans des détails futiles.
Tremblay fait preuve d’une maladresse similaire dans la description de ses personnages. Même le personnage le plus secondaire et le plus épisodique a droit à un nom et un prénom. L’écrivain devrait fouiller plus en profondeur la psychologie des êtres qu’il met en scène. Le traitement des personnages féminins est encore plus désolant. Il ne fait que renforcer les stéréotypes. Les femmes sont blondes, belles et affriolantes.
Elles sont également intelligentes mais elles sont d’abord de beaux objets désirables.
Gilles Tremblay a néanmoins su éviter le piège du sentimentalisme, ce que n’avait pas réussi Jacqueline Aubry-Morin dans son roman de triste mémoire, La Filière du temps, qui avait aussi pour thème un voyage dans le temps. Au crédit du roman de Tremblay, il faut souligner le découpage vivant du récit qui, avec la mention du lieu et de la date au début de chapitres brefs, fait justement penser à un rapport de mission.
Enfin, l’écrivain ouvre des pistes auxquelles il ne prend pas la peine de revenir. La première scène du roman laisse croire que Jacques et Favreau, deux des instigateurs du coup du Colisée, détiennent leur mystérieux pouvoir d’une intervention extra-terrestre alors qu’ils étaient enfants, mais cette possibilité n’est jamais évoquée plus loin. D’autres détails de cette nature traînent dans leur récit sans que leur utilité et leur pertinence soit établie.
Il est inutile d’accabler outre mesure un écrivain qui en est à ses premiers pas. On peut regretter que, à l’instar du commando de temponautes du vingt-sixième siècle, il ne puisse remonter le temps et réécrire son roman, mais ça ne changera rien à la situation.
Les Nordiques sont disparus est ce genre de récit qui dans cinquante ans, s’il n’a pas complètement sombré dans l’oubli, fera sourire les lecteurs au même titre que nous sourions avec condescendance aujourd’hui en lisant des romans québécois de SF écrits dans les années trente.
Gilles Tremblay
Les Nordiques sont disparus
Boucherville, Proteau (Première Chance), 1983, 219 p.
Claude JANELLE