Ron Jasper, Crescent Street (SF)
Crescent Street, de Ron Jasper
Le titre du roman et le nom de l’auteur en abuseront plusieurs, on dirait une traduction de l’américain, d’autant que ce roman est publié chez Domino, filiale de Sogides spécialisée dans les versions françaises de livres américains. Il s’agit pourtant d’un roman québécois écrit par un breton dont le nom véritable est Georges Gendreau. Ses déplacements à travers le monde et le genre de romans qu’il écrit l’apparentent à John Saul. La comparaison s’arrête là. Le choix du pseudonyme vise sans doute à attirer l’attention d’un producteur américain – le livre est d’ailleurs conçu comme un scénario de film, chapitres courts, changements rapides de décor. Je ne sais si un bon cinéaste pourrait en faire un film intéressant, mais je sais que Jasper en a fait un mauvais roman.
Il y a plein de bons sentiments dans ce récit. Mais avec quelle maladresse l’auteur s’y prend pour combattre par exemple la pauvreté et la menace nucléaire qu’il dénonce ! Ce faisant, il perd toute crédibilité et son message en faveur de la paix et de la justice sociale est noyé sous une avalanche d’invraisemblances.
Ce roman d’action combine plusieurs éléments : science-fiction, parapsychologie, politique-fiction. On pense un peu à L’Enfant du cinquième nord, de Billon – pas longtemps. Jasper n’a su créer que des personnages inconsistants, et s’embourbe dans les redites navrantes. De plus, son écriture est affreusement stéréotypée, d’une banalité incroyable. Il ne semble connaître qu’une seule façon de commencer un chapitre. Chapitre XV : « Martin, le chef de la section URSS du SDECE, n’aime pas être dérangé la nuit ». Chapitre XIX : « Il ne fallut que quelques instants à Larkin, le grand patron de la CIA, pour prendre sa douche ». Etc.
Voyons plutôt l’intrigue : « Crescent Street » est le nom de code donné à une opération offensive menée par les Soviets au Canada ; il s’engage avec les Américains une incroyable partie de poker dont dépend le sort du monde. Les Américains cèderont-ils au chantage ? La guerre aura-t-elle lieu ? Ne sachant visiblement comment conclure, Jasper s’en tire avec une pirouette honteuse. Nous révéler, après 270 pages, qu’il ne s’agissait finalement que d’un rêve, cela me semble le comble du ridicule, ou alors il s’agit d’un canular de mauvais goût. Cela explique peut-être le caractère invraisemblable de certaines situations, mais ne justifie pas leur simplisme.
Face à la dénonciation vibrante, sur un sujet voisin, de Quebec Banana State, de Jean-Michel Wyl, par exemple, la mise en garde de Jasper ressemble à une galéjade, une caricature trop appuyée qui rate totalement sa cible. Il y a tellement de ruptures de ton dans ce roman (sentimentalisme mélo, outrances caricaturales, humour débile) que la soudaine élévation du problème à un niveau philosophique, à un certain moment, apparaît pour le moins suspecte, Crescent Street est un roman qui manque totalement de rigueur et d’honnêteté, à la fois dans son écriture et dans l’élaboration de son propos.
Jasper, Ron, Crescent Street, Montréal, Domino, 1984, 283 p.
Claude JANELLE