Collectif, Dix nouvelles de science-fiction (SF)
Un panorama très représentatif de la SFQ
Contrairement aux autres collectifs de la série, Dix Nouvelles de science-fiction québécoise (curieusement, « québécoise » n’apparaît pas en page de titre et du faux titre) réunit des auteurs dont les noms sont étroitement associés à ce genre littéraire. L’anthologiste, André Carpentier, n’a pas cherché à recruter un ou deux écrivains du mainstream comme il l’avait fait pour Dix Contes et nouvelles fantastiques, de sorte que les auteurs qui figurent au sommaire représentent les valeurs les plus sûres de la SFQ. Tous les auteurs importants y sont, à l’exception d’Agnès Guitard et de René Beaulieu qui se sont désistés en cours de route.
De toutes les anthologies parues jusqu’ici, celle de Carpentier me semble la plus représentative des diverses tendances de la SFQ. Cependant, sans la qualité, une telle représentativité ne signifierait rien. Dix Nouvelles… soutient aussi fort brillamment ce pari. Si l’ensemble des textes est d’un très bon calibre, qu’en est-il de la valeur respective de chacun ? Curieusement, la somme des dix parties du collectif est inférieure au tout, aucune nouvelle n’étant exceptionnelle mais chacune étant rehaussée par sa position face aux autres.
Le premier texte est celui de Jean- Pierre April et il prolonge, dans une certaine mesure, l’avant-propos théorique d’André Carpentier. « Coma-123, Automatex » est en effet une nouvelle qui tient plus de l’essai que de la fiction. On y décèle une nette volonté polémique chez April qui décide de régler ses comptes avec les critiques qui lui ont été adressées ces dernières années. Ce procédé fait penser à celui qu’avait utilisé Gilbert LaRocque dans son dernier roman.
Il est sûr que la nouvelle d’April va faire jaser par son thème. Il s’agit d’une réflexion sur l’écriture, sur la situation de la littérature et sur les rapports entre l’écrivain et la critique. April est pessimiste sur l’avenir de la littérature et sa nouvelle s’apparente à un cri d’angoisse mêlé de dérision. Il pose le postulat que la fin de la littérature signifie la fin du monde et les dernières lignes étayent cette assertion. Il faut souligner aussi la facture très moderne de sa nouvelle alors qu’il y pratique allègrement l’intertextualité. Son personnage principal est un écrivain qui veut recréer la littérature en réécrivant les chefs-d’oeuvre. Le meilleur passage est celui qui est consacré à Une saison dans la vie d’Emmanuel, le délire verbal de Malter étant très bien contrôlé et rendant l’esprit du roman de Marie-Claire Blais.
Que l’auteur ait choisi de se représenter lui-même au même titre que John Steinbeck, Albert Camus et M.-C. Blais tient un peu de la mégalomanie mais le scénario le justifie habilement. Voilà donc un texte dérangeant, sujet à controverse, qui ne réalise pas tout à fait le mariage de la théorie et de la fiction, mais qui constitue une tentative fort intéressante d’intégrer le discours critique à la création littéraire.
La nouvelle suivante de Jean Barbe et Marc Provencher est tout au contraire axée sur l’imagination la plus pure et la plus débridée, encore que l’utilisation d’une drogue appelée altérité soit un clin d’oeil amusant aux théoriciens de la SF. « Bienvenue dans le monde merveilleux de l’altérité » est un texte complètement « capoté » et « flyé ». C’est dense, touffu et, à vrai dire, abscons.
Les auteurs y font une application laborieuse de l’altérité : l’homme est fantasmé par un animal. Le personnage de Victor ne sait plus distinguer la réalité de la fiction. Mais le personnage est lui-même le fruit de l’hallucination d’un animal qui respire un air vicié par un hallucinogène. Ce point de vue de « l’autre » est sans doute l’aspect le plus original de la nouvelle. Dans la production québécoise, il n’y a qu’un texte d’April, « Trois Vies dans la nuit d’un sous-homme », qui s’apparente à ce délire. Cette lecture très exigeante paraîtra rébarbative à plusieurs. Il aurait mieux valu placer ce texte entre Pettigrew et Rochon, si on tenait tant à respecter l’ordre alphabétique.
La nouvelle de Denis Côté était attendue avec impatience puisqu’il s’agissait de son premier texte pour adulte. C’est d’ores et déjà une réussite. Avec « 1534 », il nous livre une nouvelle émouvante qui constitue plus un hommage au célèbre roman de George Orwell qu’un pastiche. L’année 1534 est évidemment l’année de la découverte du Canada par Jacques Cartier, ce qui nous prévient que l’anti-utopie esquissée sommairement par Côté s’inspire de l’histoire québécoise.
Sans tomber dans le folklore, l’auteur met en scène une époque qui rappelle l’ère duplessiste. Big Brother est remplacé ici par Duplex 6 et la religion se fait complice du pouvoir politique. Les Gardes bleus font régner l’ordre tandis que les esprits sont soumis à la propagande haineuse contre les Angleux. Le ton est juste, l’écriture épouse le style du journal personnel. On en redemande.
Dans « La Voix dans la machine », Jean Dion s’intéresse au destin d’une chanteuse, Roxane. Seules quelques femmes ont conservé la voix après la Grande Panique qui a suivi l’Épidémie. Elles sont les idoles d’un monde qui survit difficilement. Le contact du public leur manque, l’humanité étant décimée. Aussi, vont-elles dans la Cuve de projection afin de renouer, par la magie de l’enregistrement audio-visuel, avec une foule survoltée. Mais cette relation est vouée à l’échec, la foule étant un leurre, et les chanteuses sombrent dans la folie. L’histoire de Roxane est racontée par son imprésario qui assiste, impuissant, à sa chute. Dion nous fait admirablement bien sentir le drame de l’artiste qui finit par devenir victime de son mythe et de son art. Dans un monde envahi par le vidéoclip, la nouvelle de Dion prend une résonnance très actuelle.
Francine Pelletier a réussi, au niveau de l’écriture, une nouvelle intéressante. Son découpage imprime au récit un rythme nerveux qui sied bien à ce thriller politique. Toutefois, la fin apparaît invraisemblable alors que le journaliste vient s’interposer entre les gardes et la terroriste. En outre, le récit soulève plusieurs questions qui restent sans réponse. Qui manipule la jeune terroriste ? À quelles fins ? Néanmoins, « Instant » témoigne que l’auteur acquiert du métier. Dommage que le contenu ne soit pas à la hauteur de la technique.
C’est un peu la même chose qui se produit chez Jean Pettigrew dans « La Vallée des montgolfières ». Le monde imaginaire qu’il évoque foisonne de pistes intéressantes et laisse entrevoir de multiples possibilités. La nature particulière de la masse d’eau qui s’évapore, laissant place à une vallée luxuriante, le secret des montgolfières, la disparition des populations des villes détruites par celles-ci sont autant d’éléments qui ne trouvent pas de réponse, l’auteur ayant choisi de privilégier la relation amoureuse entre Esthal et Helmutt Reinje. Histoire d’amour intéressante parce qu’elle repose sur des sentiments contradictoires mais le lecteur demeure persuadé que le meilleur reste à venir, dans une suite peut-être. D’où cette indéfinissable sensation de frustration.
« Le Piège à souvenir » d’Esther Rochon n’étonnera pas ceux qui suivent assidûment sa production mais ils reconnaîtront son aisance narrative, la placidité empreinte de morosité de ses fictions. Cette nouvelle se situe dans la même tonalité que L’Épuisement du soleil. Les habitants de Vélissi quittent la ville pour émigrer vers le sud, pays mythique du progrès et de l’abondance. Seuls quelques poètes, des irréductibles, décident de rester à Vélissi.
Thyis et Manévrim prennent la route de Staritt avec le piège à souvenirs qui, comme la statue du dieu Hatzlén, n’est finalement qu’un leurre, un objet dont l’importance est surfaite, un alibi à la résignation. Malgré cela, le fatalisme des personnages d’Esther Rochon n’est pas tragique ; il est plutôt teinté d’une certaine sérénité qui fait partie intégrante de leur philosophie de la vie.
Dans « Yadjine et la Mort », Daniel Sernine mise sur l’empathie du lecteur pour lui faire vivre les émotions et les sensations des pilotes de courses qui défient la mort. L’auteur interroge les motivations qui incitent Marq Folker à affronter la mort. On pourrait croire qu’il se livre à une entreprise de mythification comme c’est le cas pour la série Mad Max mais la fin de Marq produit l’effet contraire, d’autant plus qu’elle est racontée de façon anti-spectaculaire. Elle représente un anti-climax qui reporte l’attention sur le véritable personnage central, la journaliste Yadjine Asary. Rarement Sernine a-t-il réussi à donner une telle densité aux rapports qu’entretiennent ses personnages. La description de la deuxième course à laquelle il nous invite à participer, comme les spectateurs à travers le sensircuit, est toutefois superflue.
La nouvelle de Marc Sévigny constitue la plus grande déception du recueil. Le début est intéressant, en grande partie parce que le personnage raconte son histoire avec bonhommie, sans prétention, familièrement. Mais le récit se gâte avec l’arrivée d’une ex-détenue qui vient aider Damien B-812 dans son travail de gardien de phare spatial. Il se produit une rupture de ton, l’humour faisant place à une approche plus sérieuse de la réalité. Elle n’est finalement qu’un phantasme. Damien ayant rêvé d’une évasion aussi improbable que follement romantique. L’auteur nous a quand même fait marcher et on lui en veut un peu pour cela. Ça ne m’empêche pas de penser que tout cela est un peu facile.
« La Maison au bord de la mer » renoue avec le monde de Baïablanca. La narratrice est un artefact, sorte de sculpture organique présentant toutes les caractéristiques humaines. Quand elle a appris qu’elle n’était pas un être humain normal et que son comportement était peut-être programmé, elle s’est rebellée contre sa condition de métame. Elle en a voulu à la femme qui l’a créée ainsi. Seize ans plus tard, elle va rencontrer sa mère pour faire la paix avec elle.
Cette belle nouvelle d’Élisabeth Vonarburg sur les relations mère/fille se lit avec une facilité étonnante. Ce n’est pas que l’auteure a sacrifié la richesse de l’analyse des rapports entre les êtres mais leurs préoccupations apparaissent plus concrètes et quotidiennes. Et ce texte sur la réconciliation présente une autre facette de l’auteure, ses textes précédents étant plutôt portés par un courant de révolte, de rébellion et de violence difficilement contenue. Ici, la révolte et la haine ont fait place à l’apaisement intérieur qui passe par l’acceptation de soi. Élisabeth Vonarburg intègre ainsi en SF un thème dont les femmes écrivains ont abondamment traité il y a quelques années, les relations mère/ fille. L’émotion passe beaucoup plus facilement, le texte étant écrit davantage avec les tripes qu’avec la tête.
Dix Nouvelles de science-fiction québécoise offre donc un éventail très vaste de la SF qui se fait au Québec, allant de la fiction-critique au récit d’action en passant par le thriller politique, l’anti-utopie québécoise et le récit sentimental. Richard Coulombe a réalisé la couverture qui se distingue par un style très commercial. Par contre, l’équipe de révision n’a pas à se glorifier pour les nombreuses fautes ou coquilles typographiques, fait inhabituel, il est vrai, chez cet éditeur.
Collectif
Dix Nouvelles de science-fiction québécoise
Montréal, Les Quinze, 1985, 238 p.
Claude JANELLE