Jean-Pierre April, Le Nord électrique (SF)
Jean-Pierre April
Le Nord électrique
Longueuil, Le Préambule, 1986, 240 p.
De passage au Québec après une absence de deux ans, je découvre avec plaisir que Jean-Pierre April a enfin publié un premier roman. April est un des plus importants auteurs québécois de sa génération en SF. On le connaissait jusqu’à présent surtout par ses nouvelles, la plupart bâties sur des extrapolations assez pessimistes sur le thème du contrôle des individus par les médias, souvent par le biais du faux-semblant. Il était normal que ce roman soit très attendu : bien que je ne partage pas l’opinion courante selon laquelle le roman est une forme supérieure à la nouvelle, on pouvait s’attendre à y retrouver les préoccupations habituelles d’April, mais développées sur une toile de fond de plus grande envergure.
Le roman bénéficie des qualités d’imagination d’April, mais amplifie du même coup ses défauts en tant que conteur. Commençons par les qualités : c’est une des rares tentatives de développement du thème de la nordicité en SF. On doit reconnaître que même la littérature générale n’a pas souvent exploité ce thème, contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre des écrivains québécois. Le cadre géographique de l’hiver et ses incidences sur l’inconscient (collectif ou individuel), sur la mythologie des Québécois, a rarement fait l’objet d’une telle attention. Sur ce plan, l’imagination d’April ne chôme pas et il nous offre des idées à la pelle : son roman contient plus d’idées que l’ensemble de l’oeuvre de bien d’autres auteurs.
Toutefois, April a peut-être été dépassé par le foisonnement de son imagination : c’est dans la présentation de ses nombreuses idées, au coeur de la narration, que se situe le principal problème de ce roman. C’est un problème de construction et de style. Erreur de construction que de nous présenter l’accident majeur du super-camion dès le début ; non pas qu’il s’agisse d’une erreur en soi, mais ce choix exigeait alors que les épisodes rétrospectifs, qui forment l’enquête sur l’accident, maintiennent l’intérêt, justifient le recours à cette structure pour le roman. Malheureusement, les développements de l’intrigue ne parviennent que rarement à égaler l’intensité de l’événement déclencheur : la minceur de l’intrigue ne peut pas soutenir le poids du débordement d’idées dont je parlais plus haut. Qui plus est, l’écriture d’April est très morne, presque poussive par moments. Encore là, la richesse d’imagination du roman aurait exigé une plus grande recherche dans l’écriture. Les choix de l’auteur résultent en une accumulation d’idées qui ne parvient jamais à vraiment constituer un roman. Heureusement, l’humour caustique de l’auteur relève souvent la sauce, particulièrement par l’intelligente interpolation de reportages et de passages « documentaires) », qui prolongent les réflexions d’April sur le rôle des médias dans la société. Il est dommage que ce roman si attendu donne finalement une image à la limite dangereuse de la science-fiction, c’est-à-dire celle d’une fiction prétexte à présenter des idées, dans laquelle l’aspect proprement littéraire reste finalement peu important. April nous a habitué à mieux dans ses nouvelles et on peut prévoir que ses prochains romans seront bien meilleurs que ce coup d’envoi.
Paul C. MURRAY