Gilles Gagnon, L’Armée du sommeil (SF)
Gilles Gagnon
L’Armée du sommeil
Montréal, Québec/Amérique, 1986, 124 p.
Le petit Simon, furetant dans le hangar de sa voisine madame Gilbert, y trouve une malle contenant un mystérieux appareil. Le mari de la dame, Bertrand Gilbert, était chercheur en communications spatiales et a disparu vingt ans plus têt, peu après avoir terminé l’assemblage de cet appareil. Une voix en sort soudain, c’est celle du docteur Bertrand, qui appelle de chez les Sampys où il s’est retrouvé accidentellement en communiquant avec eux. Simon et la vieille dame le rejoindront, vivront un an dans le corps d’emprunt de Sampys, sur une minuscule planète flottant au centre de Miranda, lune creuse d’Uranus. Simon en reviendra avec une puissance mentale qui lui permettra de plonger dans le sommeil tous les jeunes du monde et de réclamer en leur nom le bannissement de la guerre et de l’exploitation sur Terre.
On retrouve dans L’Armée du sommeil deux thématiques récurrentes de la science-fiction québécoise pour jeunes – courantes surtout dans les années soixante et soixante-dix. La première, et la plus désuette, est celle du savant solitaire, prolongement SF du « patenteux » de la tradition québécoise : le Dr Gilbert du présent roman avait son homologue en monsieur Barthélémy (Monique Corriveau, Patrick et Sophie en fusée), en l’oncle Horace (Henriette Major, À la conquête du temps) et son collaborateur Ferdinand Beauparleur (Major, La Ville fabuleuse). Indissociables de ces personnages, sont leurs inventions, conçues et réalisées en solitaire comme au temps de Jules Verne, et retrouvées dans une version « terroir » du laboratoire : une grange chez Corriveau, un grenier chez Major, un hangar chez Gagnon – il a été choisi pour l’illustration de couverture, pas très réussie. Chez Monique Corriveau, la machine à voyager dans le temps était une « fusée », à une date où le mot lui-même n’avait plus cours en SF. Chez Gilles Gagnon, avec ses cadrans et ses ampoules électriques, la machine a elle aussi un cachet antique.
La seconde thématique, qui a eu cours plus longtemps, est la visite de l’utopie : depuis le Surréal 3000 de Suzanne Martel (1963) en passant par La Ville fabuleuse d’Henriette Major (1982), jusqu’au présent roman, où la couleur se trouve annoncée dès qu’on apprend que la lune Miranda est creuse et transparente, rien de moins. Hais l’utopie d’Henriette Major s’avérait piégée par la froideur sans âme des machines, et finalement récusée par les jeunes visiteurs, tandis que celle de Gagnon est dite parfaite : « En fait, sur Samp, tous les individus s’aiment ». On n’en saura pas beaucoup plus sur ce peuple, hormis son exceptionnelle longévité et le fait qu’il ait jadis ex terminé les Atlantes. Simon rapportera de Samp beaucoup de la naïveté de cette utopie – qui est bien sûr celle de l’auteur : « jours meilleurs », « paradis dont les terriens rêvent depuis des temps immémoriaux », etc. N’y a-t-il pas un piège à présenter comme si facile la solution de tous les maux de l’humanité, et de la lier à la simple bonne volonté d’un enfant « choisi » ? Simon aurait déjà accompli beaucoup en créant un état d’esprit favorable au changement ; amorcés d’un coup de baguette magique, ces changements perdent toute crédibilité, même dans le registre fictionnel. On y cherche en vain le motif d’espoir qu’évoque cette phrase un peu hyperbolique de la couverture arrière : « En cette année de la paix, ce livre saura peut-être redonner espoir à toute une génération qui formera l’humanité de demain ».
Alain LORTIE