Claude D’Astous, L’Étrange Monument du désert libyque (SF)
Claude D’Astous
L’Étrange Monument du désert libyque
Le Cercle du Livre de France (CLF), 1986, 287 p.
Depuis dix ans, Frédéric Dugan fouille les dunes de sable du désert libyque à la recherche d’une pyramide qui expliquerait peut-être le secret de ces grands monuments de la civilisation égyptienne. Il est sur le point d’abandonner ses recherches quand il découvre par hasard une pierre noire. À mesure qu’il creuse, il prend conscience de ses dimensions considérables. Dugan, qui est anthropologue, décide d’inviter des sommités mondiales dans différentes disciplines (biologie, archéologie, géologie, informatique, etc.) afin d’essayer de percer le mystère de l’origine de cet étrange monument.
La découverte de Dugan coïncide avec la naissance d’une secte, La Pelle, fondée par Elis, un pelleteur de dunes qui fut pendant quelques semaines un compagnon de Frédéric. La nouvelle secte voit dans le monument le Lieu Sacré de l’origine de l’homme et elle met ses fidèles, les Pelleteurs, au service de Dugan qui a pris la direction des travaux scientifiques et logistiques entourant les fouilles.
La découverte et le décodage de plaquettes par procédés informatiques fait rapidement progresser la recherche. Le professeur Aider Leuranc, spécialiste mondial en biologie, et son disciple Jacques de Mornay en arrivent à la conclusion que ce monument est un vaste laboratoire dans lequel a été conçue la vie sur la planète Terre dans le cadre d’expériences génétiques effectuées par les Adniens, des êtres supérieurs venus d’une autre planète. L’homme serait donc le fruit d’une expérience de laboratoire qui aurait mal tourné puisque l’être humain ne correspond pas au projet humain adnien qui prévoyait faire de l’homme un être éternel, doté de pouvoirs extraordinaires, un demi-dieu. Que s’est-il passé pour que la réalité soit toute autre ?
L’Étrange Monument du désert libyque est la plus agréable surprise de la production 1986 en SFQ. Voilà un auteur, Claude D’Astous, qui arrive de nulle part, qui en est à son premier roman et qui réussit un coup de maître. Comment ne pas penser à l’exemple d’Alain Bergeron qui avait surpris tout le monde en 1978 avec Un été de Jessica ? Claude D’Astous a écrit une oeuvre qui ne manque pas d’ambition, tant au niveau de la question fondamentale de l’origine de l’homme qu’il soulève que de la vision globale qu’il propose et de la teneur scientifique de son propos.
L’Étrange Monument du désert libyque est d’abord et avant tout une réflexion philosophico-scientifique sur l’origine et l’avenir de l’homme. Il n’est pas important de savoir s’il croit vraiment à la théorie du créationnisme biomoléculaire. Précisons qu’il a fait des études en sciences humaines et en biologie et qu’il met ses connaissances au service d’une histoire bien articulée et captivante. L’essentiel, c’est qu’il suscite une réflexion sur une question qui n’a cessé d’interpeler l’homme depuis qu’il est en mesure de penser. D’où vient-il ? Qui l’a créé ? Vers où le mènera l’évolution biologique ? Questions fondamentales, jamais résolues, auxquelles le romancier tente d’apporter quelques réponses.
Les Adniens dont il parle, les supposés créateurs de l’homme, ne sont pas très convaincants. D’Astous s’en tient à la description de leurs expériences génétiques et se garde bien de les dépeindre physiquement. En fait, ces Adniens ont avant tout une fonction romanesque qui vise à introduire la théorie du créationnisme biomoléculaire. Cette idée constitue une piste fort riche que 1 auteur exploite pleinement. Il n’y a pourtant rien de sensationnel dans cette théorie puisque l’homme y est présenté tel qu’on le connaît, c’est-à-dire vulnérable, mortel, inachevé. Mais elle permet à l’auteur de déboucher sur le concept de la création qui est à la base de toutes les religions.
La théorie du créationnisme biomoléculaire attaque de front l’enseignement contenu dans la Bible et le Coran qui s’appuie sur le créationnisme d’essence divine. L’auteur démontre avec beaucoup de clairvoyance le besoin de spiritualité de l’homme en décrivant la progression fulgurante de l’idéologie de La Pelle. L’homme a besoin pour vivre de croire en quelque chose, d’avoir une haute opinion de ses capacités intellectuelles latentes. C’est pourquoi il y aura toujours une religion capable d’incarner les aspirations et les espoirs de l’être humain.
Il y a chez Claude D’Astous une vision lucide de l’homme. Il ne se cache pas ses faiblesses, ses lacunes et sa bêtise mais il a foi en lui malgré tout car depuis un siècle, les découvertes scientifiques ont grandement amélioré son sort. Le romancier a une vision évolutive de l’homme et il sait que ses progrès pour maîtriser ses facultés doivent se calculer en millénaires et non en décennies.
Mais le tour de force de ce roman, c’est de voir comment Claude D’Astous réussit à bâtir la crédibilité de son discours. Le personnage de Frédéric Dugan tourne en dérision les lecteurs qui croient aux histoires de soucoupes volantes et d’extraterrestres et les imposteurs comme Norbert Chamoux qui exploitent la naïveté et la crédulité de ces personnes. Dugan s’est d’ailleurs beaucoup amusé à écrire une histoire de ce genre, tout à fait fictive, qui est devenu un best-seller. Or, le discours de D’Astous peut apparaître aussi farfelu et pourtant, on embarque et on y croit. C’est que l’auteur joue le scientifique contre l’imposteur et c’est là que ses connaissances en biologie particulièrement sont utiles. Il utilise la science comme caution morale à son récit et, de ce côté, son argumentation est inattaquable, je crois.
L’Étrange Monument du désert libyque est l’un des rares romans de SFQ, sinon le premier, à utiliser avec autant de rigueur et d’efficacité le résultat des plus récentes recherches en génétique et en biologie. L’auteur n’hésite pas à employer les termes spécialisés du jargon scientifique pour expliquer son hypothèse mais il le fait toujours avec un souci de vulgarisation qui l’honore. Si, comme moi, vous ne connaissez pas la fonction de l’ADN, la signification de « caryotype », de « locus », de « chaînes d’acides nucléiques », vous vous familiariserez graduellement avec ces notions scientifiques.
Le titre du roman de D’Astous peut laisser croire qu’il s’agit d’une autre histoire basée sur les pyramides. Il n’en est rien même si l’auteur fait allusion parfois à ces constructions étonnantes. On peut comparer également l’entreprise de D’Astous avec celle d’Henri La France dans À l’aube du Verseau et dans Les Capsules du temps. La France proposait une thèse sur l’évolution dans un enrobage romanesque minimal. Cette thèse se voulait sérieuse même si aucun texte ou aucune découverte ne la corroborait. Claude D’Astous, lui, a avant tout écrit un roman dans lequel on trouve des idées scientifiques irréfutables tout en ne se prenant pas au sérieux comme l’illustre l’humour et la lucidité de ses personnages.
Cet humour s’exerce souvent au détriment des disciplines scientifiques. L’auteur ne manque pas une occasion de se moquer des querelles qui opposent les sciences humaines et les sciences pures et de souligner malicieusement le cloisonnement et l’esprit de chapelle qui entravent la recherche scientifique.
L’Étrange Monument du désert libyque étant un roman d’idées et d’aventures, les personnages ne sont que sommairement développés, mais suffisamment tout de même pour se rendre sympathiques et susciter l’émotion quand ils font leur autocritique et regardent froidement la condition humaine. Le roman de Claude D’Astous est à la fois un acte d’humilité et un acte de foi de la part d’un homme qui a beaucoup réfléchi sur la nature humaine. Que cette élévation de pensée se trouvé associée à une histoire qui rappelle le style du Fleuve Noir est assez exceptionnel pour qu’on le souligne.
Une réserve, toutefois, s’impose en ce qui concerne l’écriture et la construction dramatique. L’auteur manque parfois d’assurance dans ses moyens, ce qui l’incite souvent à revenir sur ce qu’il a dit. à récapituler les événements. Le rythme en souffre et on regrette que l’action ne soit pas un peu plus resserrée. Certains passages comme la déchéance physique du pape, pour amusants qu’ils soient, n’ajoutent rien à l’intrigue principale. Le manque de métier de l’auteur l’amène aussi à utiliser des mots qui n’ont pas la signification qu’il leur prête. Ainsi, on ne reprend pas « constance » mais « contenance » et par deux fois, il confond « intégrité » et « intégralité », « Je ne ferais pas lire l’intégrité des dialogues de Platon à mon pire ennemi » (p. 73).
Mais l’humour constant et le plaisir évident que prend l’auteur à raconter cette histoire emportent rapidement notre adhésion. Il est à espérer que les lecteurs découvriront L’Étrange Monument du désert libyque car ce roman plein d’inventions n’a rien à envier aux romans français et américains. Il mérite le succès ici et à l’étranger.
Claude JANELLE