Gaétan Leboeuf, Simon Yourm (SF)
Gaétan Leboeuf
Simon Yourm
Montréal, Québec/Amérique (Jeunesse / Romans Plus), 1986, 230 p.
Simon Yourm, jeune inventeur, se trouve un matin kidnappé par un autre lui-même, venu du futur. Il semble que, dans l’avenir, Simon deviendra paranoïaque, mégalomane, et concevra le projet de conquérir la Terre en remplaçant toute l’humanité par d’innombrables copies de lui-même. Son instrument : une chaise à voyager dans le temps, grâce à laquelle il va enlever des millions d’exemplaires de lui-même, à chaque seconde d’une année choisie. Le Simon point-de-vue, qui est raisonnable et sympathique, entreprend de déjouer les projets déments de son futur soi-même, avec l’aide d’une journaliste excentrique rencontrée en Australie. Ayant été enlevé le 1er juillet, juste « au milieu » de l’année d’où viennent toutes les copies, celui-là a la faculté de lire dans les pensées de tous les autres Simon Yourm, et de voir par leurs yeux. On ne nous dit pas vraiment pourquoi il est un des rares « lui-mêmes » à être pourvu d’un peu de jugement
La fantaisie semble être la dominante de la collection, ce qui pose problème pour analyser toute science-fiction sous l’angle de la vraisemblance (ou, du moins, d’une cohérence minimale). Toutefois, c’est bien ce roman-ci qui remporte la palme avec son délire écrit, une logorrhée totalement incontrôlée. Le caractère farfelu des inventions de Yourm, dont on a un aperçu au début du roman, n’est qu’un prélude aux élucubrations les plus loufoques de l’auteur. C’est dommage, car le concept de base était porteur de situations riches au point de vue fictionnel, gâchées pour la plupart par la superficialité du roman et la désinvolture du traitement. Exploitée avec plus de mesure et plus de limpidité, l’idée aurait été très efficace. Par exemple les mentalités variées des divers exemplaires de Simon Yourm, dues à l’état d’esprit où était chacun à l’instant de son enlèvement : Yourm cupide, Yourm parricide, Yourm dément, etc.
Tant par sa thématique que par certains défauts, le roman n’est pas sans annalogies avec Temps perdu de Charles Montpetit, paru en 1983 dans Jeunesse-Pop2. Thématique du voyage temporel et de l’introduction dans le corps d’autrui ou dans son esprit, et imagination débridée dans le choix des situations. Par ailleurs, excès dans l’arbitraire des situations et dans un humour auto-complaisant, défauts qui toutefois étaient bien contrôlés chez Montpetit, et tempérés par un sens de l’intrigue autrement plus articulé.
Avec Simon Yourm, nous avons droit à des épisodes rocambolesques dans un décor de film western, avec Apaches, cowboys et motards (oui), et l’étalage d’une culture de dépliant touristique, avec quelques failles comme la présence de cobras en Afrique.
L’écriture, généralement correcte, n’est pas exempte de fautes (comme « Mongolien » pour Mongol, ou « figura » pour calcula. Elle est aussi affligée de calembours tirés par les cheveux, de blagues qui tombent à plat et d’images plutôt forcées. Ajoutons à cela un vocabulaire parfois délibérément prétentieux dans la narration et dans certains dialogues. Ce genre est devenu, à mes yeux, très typique d’une certaine écriture québécoise, tout comme le thème du « patenteux » donte je parlais dans une chronique antérieure3 et qui, ici encore, sert d’ouverture au roman. Parmi les personnages, on rencontre aussi cette engeance du citeur de proverbes qu’affectionnent certains auteurs j’ignore si ce mal affecte seulement les Québécois, mais le dernier exemple remonte au calamiteux Orchestre dans l’espace4 de Suzanne Martel.
Au-delà de la drôlerie de certaines situations et de quelques (très rares) répliques, je pense que le roman rebutera plusieurs jeunes lecteurs : l’enchaînement des péripéties devient inextricable à partir de la moitié du livre, et tombe vite dans la confusion la plus totale. Il faut la plus grande concentration pour s’y retrouver, effort qu’on ne consent que si le roman nous captive or je décroche vite lorsque l’auteur traite sa propre histoire avec tant de désinvolture.
Après l’analyse de cinq titres dont quatre souffraient des mêmes défauts5 on ne résiste pas à la tentation d’un jugement d’ensemble : complaisance dans une écriture pas toujours habile mais se voulant humoristique, intrigues parfois rocambolesques, jamais rigoureuses. Je n’ai pas lu les bouquins non-SF de la collection, j’ignore donc si la même facilité y prévaut. Seul Nocturnes pour Jessie se distingue du lot, un lot où le roman de Côté se trouve isolé par ses propres qualités.
Alain LORTIE