Gilles Pellerin, Ni le lieu ni l’heure (Hy)
Gilles Pellerin
Ni le Lieu ni l’heure
Québec, L’Instant même, 1987, 174 p.
Vous avez à parler d’un livre. Celui en rubrique, par exemple. Vous avez été subrepticement charmé par son écriture et quelques passages vous ont même envoûté. Vous pouviez connaître certains textes du recueil, d’aucunes des nouvelles étaient précédemment parues dans diverses revues.
L’auteur vous est connu ; relativement connu, s’entend. Il est libraire, puis rédacteur en chef de Nuit Blanche, publication consacrée à la diffusion du livre, en général, et qui accueille aussi en ses pages des fictions des collaborateurs et du maître d’oeuvre même. Ces créations s’ajustent bien avec le thème ou l’écrivain en sélection. Ni le Lieu ni l’heure nous en redonne trois de Nuit Blanche.
Vous parlez donc d’un livre. Celui cité en rubrique. Bien sûr, vous aviez déjà lu… Parfois sous un autre jet… Les hasards de votre bibliomanie. Jusque-là, rien de sorcier. Vous vous faites un clin d’oeil et vous glissez à nouveau dans le discours. Complice. Ce préalable vous a permis d’aborder les textes inconnus avec sympathie.
Vous êtes prêt, la relecture vous a un tantinet rassuré. Et vous entreprenez votre laïus pour un autre papier.
Cet ouvrage de Pellegrin (vous tiquez une première fois et maudissez votre vieille portative) se rattache en partie au domaine de la littérature fantastique qui « privilégie d’abord et avant tout le destin individuel de l’homme et ses états d’âme. Le fantastique est une littérature de l’intériorité » nous dit Claude Janelle dans un dossier de Québec Français (n° 50, mais 1983, p. 44). Tantôt, chez Pellegrin (vous vous grattez encore), il s’agit d’un terme de vocabulaire propre au genre qui cherche l’effet de permutation, tantôt c’est toute la phrase, ou le paragraphe, qui fait basculer l’atmosphère, quotidienne un temps, dans le monde déroutant d’une autre réalité parallèle où le personnage se découvre, fort conscient de ce qui se passe et le dépasse jusqu’à le piéger.
Ni le Moment ni l’endroit est intéressant pour plus d’un… (trois, c’est trop !). Le malaise a bien assez duré. Mais… Vous vous rendez compte que Gilles deviendra Jules et que le recueil se sera publié chez « À l’Instant K ». Votre prose vous aura échappé. Vous aurez dérapé dans un autre niveau de réel. Ou de fiction. Moment d’angoisse. Cela vous fait une belle gueule. Mais pour qui faites-vous donc cette relation ?
« L’effet de dislocation. Les mauvais lieux aux mauvais moments Les mécaniques fatales (…) Les personnages d’abord, agités de vagues terreurs, se lever le matin (le cafard), se coucher le soir le travail qui les attend on dirait sournoisement délicieusement, les regards qui les traversent, les fouillent (…), les murs qu’on semble prendre plaisir à dresser sur leur chemin. » (page 156)
Des « avenues de méprises » nous dit l’auteur à travers l’un de ses personnages dans « Les Galeries K ». Le procédé est souvent retenu par Pellerin. Mais ce n’est pas la seule nouvelle où la paranoïa conditionne la perception de la réalité. Des personnages. On peut la remarquer dans « Perreault au lavoir », « Filature », « Les Gares de la nuit », « To Dale Carnegie, with love », cette dernière pouvant évoquer « Tentative de description d’un dîner de têtes » de Prévert.
Parlez-vous mouche ou arawak ? Êtes-vous paranoïaque ? Si oui à l’une ou l’autre de ces questions, vous êtes mûr (mûre) pour cette lecture ! Sinon, tentez le dépaysement ! Tout n’y est pas spécifiquement de littérature fantastique, si cela peut vous rassurer. Et les amateurs de SF resteront sur leur faim. Mais si l’on vous demande de parler de ce livre… Attention aux effets secondaires !
Georges-Henri CLOUTIER