Daniel Gagnon, La Fée calcinée (Fa)
Daniel Gagnon
La Fée calcinée
Montréal/Pantin, VLB/Le Castor astral, 1987, 115 p.
Plus qu’un thème universel, la mort est une réalité souvent bien triste. Pour « le commun des mortels »… et les autres ! Personne n’y échappée. Le corps s’use, ou se disloque.
Devant ce phénomène inéluctable, on parle, dans nos sociétés occidentales de destin, de fatalité, d’anankè. On va jusqu’à personnifier, dans notre imagerie culturelle, la mort. C’est la Faucheuse, qui vient rompre le « fil » fragile de la vie.
Le récit de Daniel Gagnon reprend toute cette iconographie qui nous est particulière. La fée calcinée déambule à travers le monde avec faux et mante à capuchon. La mort fait son métier, comme une professionnelle.
Bien sûr, jusque-là, peu de nouveau. Le sujet est universel. Et inépuisable ! Cela donne parfois à une oeuvre de l’originalité, de la profondeur.
C’est peut-être dans la manière que Gagnon se distingue cette fois-ci. Nous sommes loin du burlesque gratuit qui a agacé dans son premier roman, Surtout à cause des viandes. L’écrivain a mûri depuis cette parution de 1972.
La Fée calcinée se présente comme un récit. L’ouvrage est divisé en quatre parties sensiblement égales. Chacune se subdivise en… Chapitres ? Paragraphes ? Poèmes ? Chants ? C’est tout cela à la fois. Et un peu plus !
En effet, le « chapitre » se compose d’abord d’une longue phrase, à laquelle s’ajoute assez souvent une ou des interrogatives, ou encore une ou des exclamatives, plus courtes. Ce paragraphe-type peut se compléter par une autre phrase moins longue que la première.
L’auteur a su, heureusement, varier sa technique et il nous offre occasionnellement l’exclamative, ou l’interrogative en premier, ou d’autres jeux de variantes.
Il s’agit, grammaticalement parlant et généralement, de séries de propositions coordonnées avec quelques rares subordonnées, Cette juxtaposition procure au texte un souffle, un caractère épique. Incantatoire même. Le discours est direct et cela nous mène par moment au lyrisme, à la poésie.
Ce discours est tenu par une narratrice, non identifiée. Morte, de surcroît. Grande amoureuse de Jérémie, l’amant et le mari, elle attend… la Mort, en décomposant sa vie – ses vies. La conscience d’exister perdure malgré le trépas officiel et la réincarnation n’est pas encore possible tant qu’elle demeure ombre errante. Précisons que cette revenante est sans témoins ; elle peut voir les vivants, se déplacer, mais elle n’est pas perçue par eux et ne parvient pas à se communiquer.
Ses seuls rapports, elle les aura avec la Mort dont elle deviendra la compagne, puis l’amante. Éros se révèle à Thanatos, et réciproquement. C’est dans ce don, par cet échange que la narratrice s’incarnera à nouveau et que la Mort se libérera un peu de son angoisse en souhaitant « qu’enfin on l’aimera elle aussi pour elle-même » (p. 115).
C’est par ces personnages finalement que le récit de Daniel Gagnon entre dans la littérature fantastique. Ils ont une « vie » parallèle, fantasmagorique. Ils sont éternels, du moins tant que la « race humaine (n’)aura (pas) décidé de mettre fin à sa vie et de s’exterminer d’elle-même » (p. 44). Alors, « la Mort mourra » (p. 44). Éros aussi, faut-il sous-entendre.
À travers ces figures mythiques importantes, l’auteur témoigne de préoccupations sociales. La possibilité d’un holocauste nucléaire ce n’est pas de la science-fiction ! – crée l’angoisse existentielle de la Cendreuse, (on retrouvera une autre référence à ce risque plus tard dans le texte.)
Le personnage de Jérémie par contre demeure secondaire. Il est à peine utile au récit. Il personnifie en somme tous les hommes. Il soutient, à l’occasion, la narratrice dont il est le point de contact avec « notre » réalité. Il est presque absent des deuxième et troisième parties. Il ne revient dans la dernière, nous semble-t-il, que pour l’équilibre général du texte.
Dans l’ensemble, l’ouvrage de Gagnon reste cohérent et sa phrase ample, menant au chant poétique, ajoute une dimension originale et particulière dans la production habituelle du champ fantastique québécois.
Le livre n’aura peut-être pas tout le public qu’il se mérite, à cause de son sujet, mais il devrait charmer celles et ceux qui apprécient une écriture moins conventionnelle.
Georges-Henri CLOUTIER