Denis Côté, Les Prisonniers du zoo (SF)
Denis Côté
Les Prisonniers du zoo
Montréal, La Courte Échelle (Roman-jeunesse, 11), 1988, 94 p. (Illustrations de Stéphane Poulin.)
C’est par « inclusionisme » que nous abordons ici Les Prisonniers du zoo, et aussi parce nous avons suivi d’assez près, dans cette chronique, l’oeuvre de Denis Côté, d’une qualité constante. Comme dans plusieurs Bob Morane, il s’agit ici d’une intrigue basée sur un élément de SF mais, autrement, mise en scène dans un contexte réaliste et contemporain. L’élément SF est ici la drogue Z-Plus, mise au point par le docteur Merle pour la communication avec les animaux (les primates surtout) afin que les militaires puissent les employer dans des missions. Le pouvoir militaro-scientifique comme antagoniste, on reconnaît d’emblée la thématique de base de l’oeuvre de Côté.
Mais Z-Plus rend les animaux intelligents, en particulier les chimpanzés Mikhail et Ronald (pince-sans-rire. Côté ne précise quand même pas leurs patronymes…). Avec la complicité d’un gardien bienveillant, les chimpanzés libèrent des animaux du zoo et séquestrent le savant pour le faire produire encore du Z-Plus.
Le jeune Maxime, avec son robuste ami Pouce, s’introduit dans le zoo la nuit (!) pour enquêter sur une série de faits bizarres originant de là. Comme dans Des Fleurs pour Algernon, le roman s’achève sur le tragique retour des sujets d’expérience, brièvement doués d’intelligence, à l’état de bêtes (ou d’handicapé mental dans le roman de Keyes).
Pour la première fois dans l’oeuvre de Côté, ce récit a pour héros des enfants et est narré par le plus jeune d’entre eux. C’est habilement fait et, surtout, le registre quotidien-ordinaire est très à la mode en littérature de jeunesse québécoise. Pour le meilleur et pour le pire, la Courte Échelle et Québec-Amérique créent les tendances québécoises en littérature de jeunesse. Parlant de mode, signalons les belles illustrations (couverture et intérieur) qui, tout en étant signées par un illustrateur très en vogue, Poulin, échappent au style griffonné-bâclé qui fait tant de ravages ces années-ci.
Pour en revenir au roman, la narration est pleine d’images efficaces et bien trouvées. Seuls les dialogues des gamins sont parfois moins convaincants, mais la sensibilité du jeune narrateur est juste et touchante, la tendresse qui colore ses rapports avec ses parents est constante et pourtant sobre.
Côté applique sagement les modèles égalitaires et anti-stéréotypes du Ministère de l’Éducation : la mère est mécanicienne, et le gamin a un ami haïtien. À côté de cela, on se réjouit d’entendre les notes un peu moins conformistes qu’offre l’humour narquois de Côté : une chiquenaude à Greenpeace devenue « Green War », un peu d’autodérision aux dépens de l’écrivain (ce n’est pas rare chez lui), et les singes baptisés de prénoms présidentiels.
Il y a toujours dans les romans de Côté une ou des références à la culture populaire occidentale (cette fois, c’est Indiana Jones qui a la vedette), des références aux préoccupations sociales de l’heure (ici, le sort des animaux), et des allusions aux vieilles amours de l’auteur (le premier King Kong en noir et blanc).
Tandis que certains des penchants de Côté sont ici bien contrôlés, un de ses regrettables travers, le manichéisme, s’étale sans retenue dans Les Prisonniers du zoo. « Le docteur Merle est méchant. (…) Le docteur Merle tente des expériences sur les animaux pour faire le mal. » (pp. 73 & 75). Un savant fou aussi caricatural que le docteur Merle ne se rencontre plus que sur le mode parodique, sauf peut-être en bande dessinée ; pourtant, dans Les Prisonniers du zoo, il est au premier degré, carrément. On ne peut pas grand-chose contre l’idéologie des dessins animés télévisés, étatsuniens ou japonais, mais on souhaiterait au moins qu’en littérature québécoise, les jeunes puissent apprendre dès leurs premières lectures qu’il n’existe rien d’aussi simple ou facile que le bien et le mal, les bons et les méchants.
Alain LORTIE