Pierre Voyer, Les Enfants parfaits (SF)
Pierre Voyer
Les Enfants parfaits
Montréal, Guérin (littérature), 1987, 367 p.
Pierre Voyer n’est pas un débutant : il a déjà publié un volume sur la musique rock et il a travaillé à l’adaptation du texte Le Seigneur des anneaux pour la pièce du Théâtre Sans Fil que nous avons commentée dans Solaris précédemment. Son deuxième livre, Les Enfants parfaits, est son premier roman. SF ou pas SF ? Indiscutablement lié au genre, en tout cas, par ses thèmes : la génétique, la fabrication d’enfants « parfaits » la création d’une race supérieure (mais non aryenne, au contraire), etc. Un excellent roman. Par son rythme, d’abord. Les chapitres très courts nous font passer rapidement d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre : le lecteur se promène de Laval à Bangkok (!) et l’histoire se déroule plus ou moins de 1962 à 1987, avec pour source l’Allemagne nazie de 1943. Il s’agit également d’une vaste fresque, car le nombre de personnages mis en scène est impressionnant. On s’attache à plusieurs, surtout aux adolescents de Laval/1987, qui sont présentés en couverture arrière comme les héros et sur lesquels d’ailleurs s’ouvre le roman. Les petits réfugiés cambodgiens, Yon surtout, sont également des personnages forts.
Mais cette force du roman crée également un problème, car aucun de ces personnages n’agit comme moteur de l’histoire. La petite fille sauvage d’Argentine, Consuelo, perd presque tout intérêt du moment qu’elle devient en Allemagne Noëmie von Klapp, maîtresse de Verlorelei (lieu de création des Perlekinder, les enfants parfaits du titre). Les jeunes adolescents annoncés en couverture 4 se questionnent de poignante façon, l’un sur ses origines, l’autre sur sa destinée, mais aucun des deux n’agit, sinon pour tenter de se suicider à la fin. Cet acte qui aurait pu former un point culminant du récit se trouve noyé du fait qu’il y a trop d’intrigues en résolution à ce moment du récit.
Quant aux autres personnages, on les voit trop peu, ou alors ils sont évacués quand ça devient intéressant. Le père Guénette est un bon exemple : obsédé par une thèse qu’il a rédigé dans une nuit d’inspiration et que lui a volé Noëmie von Klapp, il ne vit que pour récupérer ce précieux document. Or, la thèse sera détruite par le feu. Le père Guénette, nous disent les autres personnages, risque de se considérer comme un raté – mais à partir du moment où il apprend que sa thèse est détruite, exit le père Guénette. Même chose pour Yon, le Cambodgien. Il a échappé de justesse à la destruction du camp d’enfants où il vivait en attente d’être vendu à de nouveaux parents américains. Il réussit à gagner Bangkok où il espère retrouver sa vraie famille. Il retombe naïvement aux mains de son exploiteur qui l’entraîne maintenant dans un commerce de drogue. Un autre personnage intéressant, le « capitaine souris » s’attache aux pas du gamin soi-disant pour le surveiller, mais on devine que le vieux marin rêve de reprendre sa liberté. Le lecteur devra faire travailler sa cervelle et imaginer comment pourrait se développer la relation entre le vieillard désabusé et le garçon idéaliste, car le roman s’achève sans qu’on en sache plus.
Mais, au fond, est-ce bien un défaut ? Ce côté toujours inachevé donne une dimension plus large au roman. Les personnages sont très vivants, surtout les enfants et les adolescents, ce qui n’est que justice puisque c’est là leur histoire, de Benoît à Noëmie/Consuelo, en passant par Luc, Britt, Terry, Phong et Yon… Cette multitude de personnages ne nuit jamais à la lecture, malgré les noms parfois exotiques, sans compter les changements de lieux et d’époques. Force m’est donc de reconnaître en Pierre Voyer un auteur qui maîtrise l’écriture. D’ailleurs, ce jeu des intrigues parallèles me rappelle L’Étrange Monument du désert libyque de Claude d’Astous, comme du reste cet intérêt pour la chose amoureuse, cet entrelacs d’intrigues sentimentales, n’est pas sans évoquer le meilleur Somcynsky.
Un auteur à suivre.
Francine PELLETIER