Donald Alarie, Un homme paisible (Hy)
Donald Alarie
Un homme paisible
Ottawa, Pierre Tisseyre, 1986, 179 p.
Empreint d’un curieux charme, ce mince volume réussit à graduellement créer un climat d’envoûtement, semblable à un rêve éveillé, qui s’empare du lecteur et le plonge dans la série d’images et de visions parfois hallucinées que nous présente ici Donald Alarie. Malgré la banalité quelque peu étouffante de certains textes, un air de fraîcheur se dégage de nombreux passages du recueil, particulièrement lorsque l’auteur rejette les contraintes arbitraires de la fiction « réaliste » pour lentement dériver vers les limites du fantastique, ce qui donne lieu à de singuliers résultats, qui rappellent par moment les « cauchemars urbains » d’auteurs tels J.G. Ballard ou Ray Bradbury. De ce dernier en particulier, l’on retrouve l’approche poétique inhérente à ses textes les plus réussis, qui, tout en douceur et demi-teintes, fait ressortir la cruauté parfois insoupçonnée de certains actes ou paroles, soulignant de ce fait la complexité et la fragilité des émotions humaines. Ainsi, Un homme paisible rappelle-t-il à notre mémoire certaines œuvres de Bradbury, comme Les Pommes d’or du soleil ou Le Vin d’été, livres également considérés comme à mi-chemin entre le fantastique et la littérature générale. De plus, il faudrait signaler que bon nombre de nouvelles de ce recueil ont plus de liens de parenté avec le genre d’écriture appelée « poésie en prose » qu’avec la prose proprement dite.
Examinons maintenant de plus près le contenu de ce court livre, composé de 41 textes de longueur variable et qui, pourtant, maintient une indéniable unité de ton, de la première à la dernière page, chaque nouvelle semblant se prolonger dans la suivante, par la similitude des thèmes et des atmosphères. Un élément crucial, d’ailleurs, dans cette création d’atmosphère très réussie est la stylisation des rapports des personnages entre eux et avec leur environnement. Leur fréquent anonymat, alors simplement identifiés comme « il » ou « elle », ainsi que les conclusions plus ou moins ouvertes à l’imagination de chacun, qui laissent au lecteur le soin de véritablement clore le récit selon son interprétation des événements relatés, ajoutent à cet aspect « irréel » (ou peut-être plutôt « sur-réel ») dans lequel baigne les textes les plus travaillés du recueil. Une autre force de l’écriture de Donald Alarie est sa capacité de brosser des images très visuelles, souvent insolites et toujours saisissantes, qui imprègnent nos souvenirs bien longtemps après avoir oublié quelle était la trame narrative de la nouvelle en question. Ceci dit, il demeure que ces éléments très positifs ne se retrouvent que dans un nombre restreint de textes du recueil, ce qui d’ailleurs fait foi de leur efficacité, puisqu’ils sont parvenus à me faire oublier les points les plus faibles que l’on retrouve dans d’autres textes. A ce sujet, je garde une impression plutôt mitigée du grand nombre de short-shorts dans ce livre. Pour la plupart de simples descriptions d’une scène particulière, ces récits d’une page sont néanmoins très peu convaincants et revêtent l’apparence d’« interludes » entre les textes plus fignolés de l’auteur Une exception à la règle : « De nuit », un superbe effort de concision et d’émotions sous-entendues, sur le thème de la solitude et de l’égarement dans la ville, tant physique que mental. En effet, la discrétion des sentiments est une qualité fondamentale de Donald Alarie, qui dans des nouvelles telles « Une scène troublante » ou « Sur le coin de la table », nous fait pleinement ressentir le désespoir de ses personnages, abandonnés à eux-mêmes dans un monde impersonnel, et qui tentent par tous les moyens de secouer l’indifférence de leurs semblables. Dans la lignée de Bradbury, « Une femme seule », « Jutor » ou « Un visiteur du soir » reprennent certains thèmes typiques de l’écrivain américain, alors que « Au niveau du sol (malgré tout) » (la nouvelle probablement la plus fantastique) rappelle les courts textes inclassables de David R. Bunch, auteur américain injustement méconnu du grand public, et dont le style d’écriture ressemble vaguement à celui de Donald Alarie. Plusieurs nouvelles mériteraient d’être mentionnées ici, et j’attire votre attention sur les textes suivants, tous très agréables et empreints d’une douce mélancolie : « Un beau dimanche de 1910 », « En groupe », « Séjour au bord de la mer » et « Une balançoire dans le ciel ». Enfin, j’avoue avoir personnellement une préférence marquée pour les deux textes suivants, qui m’ont spécialement touché et dont j’ai particulièrement goûté l’écriture : « À la gare », et « Le Vent dans les arbres ».
Maintenant, avant de clore cette critique, et pour faire contrepoids aux nombreux éloges qui précèdent, je me dois de citer les quelques titres qui rendent ce recueil d’un niveau plutôt inégal. Ainsi, sans être vraiment désagréable, la nouvelle-titre n’est guère plus qu’un simple fait divers raconté de façon plus qu’ordinaire. Le même commentaire pourrait s’appliquer à un certain nombre de textes, tels « Je vous attends à huit heures », « Lettre d’ailleurs » ou « Famille commerciale » et environ une dizaine d’autres, ce qui demeure très peu sur les 41 textes du recueil. De plus, ces reproches sont pour moi sans véritable importance puisque je recommande à tout lecteur abordant ce livre de le lire en une seule lecture, comme un roman aux multiples chapitres, afin de se laisser pénétrer du climat d’incertitude et d’étrangeté que nous transmet cet « homme paisible ». Enfin, tout comme les personnages de la première nouvelle, nous devrions nous glisser dans le tableau qui s’offre à nous, et vivre pleinement les scènes brossées pour nous par Donald Alarie.
Un livre sans prétention, qu’on se surprend à aimer. Un homme paisible sera sûrement apprécié des amateurs de Bradbury et de ces autres auteurs qui écrivent en se souciant peu des classifications arbitraires du type « fantastique » ou « littérature générale », pour simplement laisser libre cours à leur imagination.
Jean-Philippe GERVAIS