Nicole Paradis, Amitié cosmique (SF)
Nicole Paradis
Amitié cosmique
Chicoutimi, JCL, 1988, 247 p.
Les données de catalogage avant publication identifient ce premier texte de Nicole Paradis comme en étant un de fantastique. On peut s’étonner toutefois, après lecture, d’une telle classification. D’ailleurs, titre et pochette portent d’abord à croire qu’il s’agit de science-fiction.
Dans le récit, il est question d’une famille modèle de Québécois qui rencontre et est observée par une famille un peu spatiale d’extraterrestres ovipares. Il y aura eu, préalablement, des manifestations de la présence de ces « martiens », mais ce n’est qu’au tiers du roman qu’il y aura contact de vue à vue avec nos typiques québécois.
Le discours de l’auteure, par certains éléments, semble entraîner le récit vers le fantastique. On parlera d’un « endroit (qui) a quelque chose de magique » (p. 34), d’île tropicale hantée par des fantômes, de « voix intérieure » (p. 51), d’éblouissements étranges. Ces références se poursuivent tout au long du roman, même si leur fréquence est moindre que dans les quatre-vingt premières pages. Ce vocabulaire peut donc conduire sur une fausse piste d’interprétation, et cela malgré des explications plus rationnelles qui viendront clarifier le contenu antérieur.
De plus, Nicole Paradis donne l’impression que son texte, à un certain moment, a bifurqué du fantastique vers la science-fiction. Il y a eu mise en place d’un contexte rattachable au monde de l’étrange, puis développement du récit sur un mode plus logique, plus cartésien (dans la mesure où l’existence d’extra-terrestres apparaît plus plausibles que celle de forces surnaturelles). Cherchons l’erreur.
Les visiteurs galactiques, eux, ont toutes les particularités nécessaires à leur classification comme artefact de science-fiction. Même s’ils ont subi quelques retouches pour s’adapter à notre milieu terrestre, ils demeurent reconnaissables à « (l)eur corps chétif et légèrement verdâtre (…) affublé de membres démesurément longs » (p. 87). Ils ont une « tête volumineuse (hérissée) de cheveux rougeâtres, clairsemés et raides comme de la broche » (p. 87) – on apprendra plus tard qu’il s’agit de nerfs –, tête où « pointent des antennes couronnées de petites boules » (p. 87), « antennes qui clignotent » (p. 88), ce qui permet au narrateur principal de conclure – un peu rapidement – qu’ils sont télépathes.
Les clichés du genre exigent de « gros yeux globuleux » (p. 86) « à fleur de tête » (p. 87). Ils les ont. Des « oreilles (…en) portes de grange » p. 87, une « langue rouge et pointue » (p. 88). Ils les ont. Des mains à sept doigts avec des « ongles en crochet » (p. 87). Ils ont tout ça, en plus d’avoir les pieds palmés – ce qui peut expliquer qu’ils soient ovipares, mais ce n’est pas clairement établi. Tout comme ce qui permet de juger de leur différenciation sexuelle.
Le pittoresque ne s’arrête pas là, puisqu’ils ont des dons de voyance, marchent sur les eaux, sont ininflammables, ne ressentent pas la chaleur du feu, sont dotés d’une vue qui transcende la courbure de la Terre, etc., etc. Ils maîtrisent biologie et technologie, voyagent dans l’espace, bref, ils ont tous les poncifs apparents pour en faire de « vrais » extraterrestres.
Cette panoplie descriptive est supérieure de beaucoup à celle relevant du fantastique. Bien sûr, l’erreur est humaine, et « on » peut se tromper.
Le récit, précisons-le, est raconté par le père de famille québécois. Des éléments du journal de la mère de famille s’ajouteront pour donner une information complémentaire. En dépit de l’effort de diversification tenté par l’auteure, on ne sent pas de démarcation stylistique entre les deux intervenants ; on n’a toujours finalement qu’un seul niveau de narration, un même ton.
David – « Dave pour les intimes » (p. 10) – Martin gagne en 1974 dix millions à notre cher système de taxation volontaire, la loto. D’ordinaire, dit-on, ça ne change pas le monde, mais notre nouveau riche, lui, quitte emploi et part en voyage avec femme et enfants dans les mers du Sud. Il aura le coup de foudre – un éblouissement ! – pour une île déserte, il l’achètera et s’y établira malgré les rumeurs voulant quelle soit hantée.
Mais il n’y a eu ni hasard ni libre-arbitre dans cette « fantastique » odyssée. Tout était pipé. La loto : truquée par les bons offices des extra-terrestres. Ils ont ont été choisis. Cette famille québécoise était prédestinée à vivre sur cette île tropicale !
Les créatures d’outre-espace sont, répétons-le, en mission d’observation sur Terre. La famille Martin – unie, respectable, honnête, bonne, croyante et catholique de surcroît – a été guidée jusqu’à cet îlot près de la Martinique ou les « bonhommes verts » sont déjà installés confortablement dans une grotte. Les Martin, élus, auront un message à transmettre à l’humanité. Des Québécois, se rend-on compte !
Ce contact entre cultures dure plusieurs mois. Peu à peu, les extra-terrestres vivent au diapason de ces terriens. Le récit devient idyllique. Tout est beau, tout est bon. Ces québécois représentent les valeurs fondamentales d’une société traditionaliste, conservatrice, capitaliste… et centrée sur elle-même. C’est un microcosme qui vise son auto-suffisance sur son île et qui cherche à se montrer sous son plus beau jour devant ces visiteurs pacifistes. Cependant, l’impérialisme, l’égoïsme, et le machisme du narrateur principal passent inaperçus aux yeux « globuleux » des extra-terrestres. Ils sont au contraire qualités, inhérents et naturels à ce modèle de pater familias québécois.
L’échange toutefois est à peu près à sens unique. Ainsi, on en connaîtra beaucoup moins sur la société des habitants d’Azel 18 – leur planète d’origine – que ceux-ci en apprendront sur nos Québécois.
Cette apologie de la civilisation occidentale, d’une certaine spécificité québécoise, du jeu de rôles des membres de la famille Martin, pourra porter lecteurs et lectrices à sourire, à rire… ou même à grincer des dents.
C’est qu’Amitié cosmique appartient à ce courant de littérature édifiante qui perce à nouveau après s’être éteint pendant quelques décennies. L’auteur a voulu offrir une « vision positive et saine de la vie familiale » (quatrième de couverture et communiqué de presse).
Nous aurons semble-t-il, droit à un second volet de cette aventure. La structure romanesque du récit supporterait une suite. Certains éléments de l’histoire pourront alors être développés… dans une uchronie, nécessairement !
Georges-Henri CLOUTIER