Billy Bob Dutrisac, Une photo vaut mille morts
Billy Bob Dutrisac
Une Photo vaut mille morts
Montréal, VLB, 1987, 199 p.
Est-il possible que l’éditeur ait eu honte de publier ce livre ? On est en droit de poser la question au vu de la difficulté de se le procurer. Sa vie en librairie semble avoir approché le point zéro, tandis qu’il a fallu que Solaris s’adresse à l’auteur lui-même pour obtenir l’exemplaire qui m’a été refilé pour ce compte-rendu. Qu’est-ce qui peut avoir motivé la publication si discrète de ce roman ? Probablement le genre adopté par l’auteur, c’est-à-dire l’horreur.
Le sujet est en effet sans équivoque : un photographe pour journaux de police constate sur ses photographies la présence de fumées s’échappant des cadavres et ce phénomène semble lié aux événements horrifiants qui se préparent dans sa maison ; il est bon de savoir de plus que celle-ci fut le repaire il y a quelques années d’un tueur d’enfants.
L’auteur ouvre le bal par une scène d’éventrement d’enfant qui m’a fait grincer des dents ; pas tellement à cause des détails « documentaires », somme toute d’un niveau courant pour le genre, mais parce que l’auteur a recours à ce qui semble être le cliché favori pour représenter un personnage d’homosexuel, c’est-à-dire le prédateur qui fait subir mille sévices à ses victimes enfantines cliché qui m’insulte pour des raisons très personnelles. On découvre par la suite que ce tueur choisit ses victimes à part à peu près égale chez les fillettes et les garçons. Parce qu’elle a réussi à me choquer (peut-être pas de la manière prévue par l’auteur), l’entrée en matière choisie par Dutrisac va dans le sens des conclusions de messieurs Pomerleau et Sirois quant au rôle de l’association tripes-sexe dans la fiction d’horreur ; la représentation côte à côte d’interdits (ou à tout le moins de comportements hors-normes) – ici sexuels et sociaux – dérange dès le coup d’envoi du roman et donne une idée de l’humour grinçant que se permettra l’auteur tout au long du livre, bien qu’il ne reviendra jamais aux mêmes déchaînements.
L’humour est d’ailleurs un des principaux défauts du roman puisqu’il s’exerce sans retenue et lourdement dans presque chaque paragraphe, déjouant constamment la tension, sans que ces tentatives de drôlerie ajoutent au déroulement de l’histoire. Les problèmes de la narration ne s’arrêtent pas là ; soulignons par exemple l’écriture très maladroite de Dutrisac, qui aurait eu besoin du travail d’un bon directeur littéraire pour mettre de l’ordre dans sa syntaxe et ses figures de style mal embouchées. Et puis aussi ces chutes du point de vue narratif, en plein milieu d’un paragraphe ou d’une phrase, tout à fait aléatoirement, et qui dénotent une certaine rapidité d’écriture.
C’est vraiment dommage puisque ce roman d’horreur commerciale (le terme n’est pas péjoratif) aurait pu être beaucoup mieux réussi et faire date comme la première tentative du genre dans la littérature québécoise. Certaines des idées sont remarquables ; l’auteur réussit par exemple un astucieux recyclage d’une superstition assez répandue, celle qui veut qu’une photo puisse capturer l’âme d’un être humain ; plusieurs romans horrifiques se fondent sur la reprise de ces croyances populaires dans un contexte effrayant. L’auteur démontre aussi qu’il a lu et vu ses classiques et multiplie les allusions littéraires et cinématographiques, surtout vers la fin, lorsque l’horreur se déchaîne. Ces clins d’œil sont plutôt distrayants et détournent l’attention de la conclusion.
Malgré les défauts d’écriture, on constate que l’auteur a une excellente idée des possibilités du genre horrifique et les scènes de manifestations de la fillette morte atteignent presque l’effet de terreur : mais Dutrisac ne cesse de s’injecter dans la narration, pour faire drôle, et désamorce l’effet. Si c’est l’humour noir qu’il cherchait, il a plutôt réussi à atterrir quelque part entre l’horreur et le camp. Avec un peu plus de discipline, il pourrait devenir le premier auteur québécois à faire sa marque dans le domaine de l’horreur.
Mike ARCHAW