Jean Ferguson, Valdabie (SF)
Jean Ferguson
Valdabie
Hull, Asticou, 1988, 155 p.
On se souvient sans doute de cette caricature (américaine?) où des extraterrestres, fraîchement sortis de leur soucoupe, demandent à de paisibles ruminants de les mener à leur président.
Ici, le propos de Jean Ferguson s’enchaîne de façon inverse et ce sont deux terriens qui débarquent de leur fusée près d’un troupeau de bovidés ressemblant à nos zébus asiatiques.
Le narrateur et son copain Cabestan n’en croient pas leurs oreilles lorsque l’un de ces boeufs à bosse – le chef – leur souhaite la bienvenue dans un langage très intelligible et fort civil. C’est que, explique un Zébu Majestueux, « tous les habitants de Valdabie ont cette faculté de mimétisme qui leur permet de s’adresser à n’importe quel étranger dans sa propre langue et sans la moindre difficulté » (p. 22). Et voilà réglé le problème épineux de la communication entre espèces!
Sous la plume fantaisiste de Ferguson, tous les personnages – comme individu ou comme genre – révèlent toujours quelques particularités qui les caractérisent de manière humoristique.
Ainsi, en plus des faux zébus parlants, pacifistes et philosophes, nous rencontrons au fil des pages les molaires et les orchidées jolis noms pour désigner mâles et femelles d’une espèce humaine naine et un peu cabotine qui accueilleront les visiteurs terriens. Nous rencontrons ensuite un Martien qui n’en est pas un n’avons-nous pas « l’habitude d’appeler Martiens tous les égrangers à (n)otre planète »? (p. 69) et que sa pollakiurie a fait surnommer Tipipi.
Ajoutez des petits hommes verts authentiquement valdabiens et vaguement belliqueux, dénichez un monstre aux hormones au fond d’un lac, faites apparaître une nouvelle « Terrienne absolument remarquable par la dimension de son corps » (p. 116) que vous baptiserez Éléphancia pour cause et vous aurez l’essentiel de la faune amusante qui peuple le récit de l’auteur abitibien. Ironisez avec quelques remarques sur la bureaucratie, la politique et les religieux et vous aurez le ton général de l’œuvre.
Ajoutez l’alcool et remords, drogue et retour d’enfant prodigue, assaisonnez régulièrement de morale, additionnez d’amours platoniques et vous aurez un roman qui se destine à une clientèle adolescente.
En fait, le mélange n’est pas aussi simpliste et le livre de Ferguson, malgré quelques éléments qui affaiblissent la cohérence du récit, est suffisamment articulé pour plaire aussi à un public plus âgé.
Il se divise en 19 chapitres numérotés et titrés, que l’on dévore rapidement car ils sont en général très courts. Les paragraphes sont souvent brefs et les dialogues fréquents. Soulignons également une particularité de l’œuvre: le narrateur-commentateur ne s’identifie jamais directement ou indirectement, si ce n’est comme
Terrien originaire du Québec, « un ancien petit État du Canada » (p. 118), précise-t-il.
L’histoire se déroule bien sur Valdabie principalement, petite planète de gélatine éclairée par le soleil blanc de Zêta Albumine. L’auteur se régale fort de cette trouvaille où la gélatine pétrifiée, durcie, molle ou liquide s’emploie à toutes les sauces. Elle est à la fois breuvage, nourriture, remède, gîte, sol, etc.
Les personnages sont bien typés: chacun, chacune, a sa personnalité et se montre capable d’évolution. Même ce manipulateur de Tipipi s’en sort bonifié. L’auteur s’en sert un moment pour dénoncer l’exploitation des âmes naïves à laquelle peuvent se prêter certains ministres du culte.
On s’étonnera un instant des références répétées à la religion dans ce récit. Heureusement, cela ne donne pas dans l’édification plate, Il y est question de pluralisme: faux zébus, molaires et terriens y vont chacun de leur vision… monothéiste, par hasard. Et Cabestan se prétend athée! Il ne faut pas d’autre part oublier à quel public le volume est d’abord assigné: la jeunesse. Ciblage oblige, semble-t-il.
Lecteurs et lectrices d’un autre âge qui désirent quelque chose de plus corsé, pourront toujours consulter le dernier essai de Ferguson, V’là le bon vent, publié à sa maison d’éditions D’ici et d’ailleurs. Il s’agit d’une histoire humoristique et documentée des besoins naturels à travers les âges et les peuples. Ce n’est pas de la S F, pour sûr, et on n’apprendra pas encore comment font les Martiens de toute provenance, mais cela témoigne de la volonté de l’auteur de toucher les publics les plus diversifiés… par le biais du comique. Si cela vous gaze! Naturellement, les vrais amateurs de SF apprécieront d’abord Valdabie.
Georges-Henri CLOUTIER