Nando Michaud, Les Montres sont molles mais les temps sont durs (SF)
Nando Michaud
Les Montres sont molles mais les temps sont durs
Montréal, Pierre Tisseyre, 1988, 269 p.
De L’Univers en folie de Fredric Brown aux Voies d’Anubis de Tim Powers, le thème du voyage dans le temps (ou dans un univers parallèle) s’est considérablement développé et enrichi depuis le classique voyageur de H. G. Wells. Les intrigues les plus loufoques et les personnages les plus étranges se sont succédés pour donner naissance à des œuvres d’une complexité et d’une originalité absolument étonnantes. Évitant de sombrer dans l’humour facile ou le cabotinage ennuyeux, des livres ont réussi néanmoins l’exploit de combiner une trame narrative très compliquée à un style d’écriture plutôt léger et désinvolte, preuve éclatante de la parfaite maîtrise de leur art par les écrivains concernés. Avec son premier roman, Nando Michaud tente de répéter cette combinaison gagnante, mais n’y parvient malheureusement pas tout à fait.
Le livre de Michaud a plus ou moins bien survécu au passage du format nouvelle, parue dans le n° 2 de la revue L’Écrit primal sous le titre de « Passé composé » à celui du roman.
Pourtant, dès le début l’auteur nous plonge dans un tourbillon d’idées et de rebondissements assez étourdissant, et à l’apparition des premiers personnages, le narrateur et Léonard de Vinci, tout semble aller pour le mieux. Cependant, très vite les multiples apartés de l’auteur, alliés à son humour volontairement noir et cynique (mais pas souvent réussi), prennent le dessus sur l’histoire proprement dite, à la plus grande tristesse du lecteur. Les personnages tentent bien de redonner vie à un récit qui devient de plus en plus morne, et en effet, plusieurs des meilleurs moments du livre proviennent de l’interaction entre ces figures historiques (Léonard de Vinci, Karl Marx et Jésus lui-même), mais il apparaît bientôt que la saveur de leurs dialogues demeurera limitée à ceux-ci, car dès la fin de la première centaine de pages, on s’ennuie ferme et les quelques 169 pages qui restent n’améliorent pas la situation. À plusieurs reprises. Michaud pratique ce que je qualifie d’écriture à la Analog, c’est-à-dire qu’il interrompt net le déroulement de son histoire pour nous déverser un tas de banalités sur le fonctionnement de tel appareil ou l’évolution de telle structure sociale, tout en nous les expliquant avec force détails. Parfois, un roman de ce genre peut être malgré tout passionnant, en ce qu’il présente de nouvelles idées ou une vision de l’avenir inusitée, mais lorsqu’il s’agit de ressasser des clichés mille fois lus et entendus, l’effet est plutôt soporifique.
D’ailleurs, le traitement accordé par Michaud à ses idées de base est aussi décevant, car il aurait eu en mains tous les éléments pour réaliser un roman aussi fou et réussi que Les Voies d’Anubis, mais il a préféré verser dans le cynisme facile et l’humour de collège, alors qu’un tel sujet aurait demandé une approche fraîche et nouvelle, à la fois mûrement réfléchie et toute empreinte de spontanéité.
Malgré tout, certains passages du livre sont assez amusants. Ainsi, la raison de l’apparition des hamburgers et de toutes les autres sortes de fast foods est très bien trouvée, comme l’est ce retour au Big Bang originel (quoique dans ce cas, la scène s’étire beaucoup trop longtemps, et perd ainsi de son efficacité), ou cette Amérique du Nord peuplée par 400 millions de Québécois francophones ! Le choix des personnages célèbres intervenant dans le récit est assez judicieux, bien qu’ils servent trop souvent simplement de porte-paroles aux idées politiques, sociales et économiques de l’auteur, qui reprennent une fois de plus l’éternel critique de l’Occident et de ses structures gouvernementales.
La conclusion, bien que satisfaisante au premier abord, laisse plusieurs questions sans réponse, et souligne une fois de plus à quel point la trame narrative est confuse, prenant mille détours pour enfin déboucher sur une situation finale qui ne répond pas du tout aux attentes soulevées au début du roman. Pour terminer, je dois mentionner que le style de Michaud est techniquement irréprochable, et parfois même agréable, mais que dans l’ensemble, il ne contribue pas vraiment à la création d’une atmosphère, d’un climat propre à son récit. Fondamentalement manqué. Les Montres sont molles mais les temps sont durs déçoit beaucoup compte tenu des éléments qui le composent, et pourtant on sent à quel point l’auteur était proche de la réussite, qui lui a échappé on ne sait trop pourquoi. Enfin, je demeurerai tout de même curieux de lire les prochains écrits de Michaud, pour savoir s’il a su se débarrasser des tics d’écriture qui m’ont rendu la lecture de son premier roman si pénibles par endroit. Un roman à éviter, mais un auteur à surveiller.
Jean-Philippe GERVAIS