Jean-Louis Grosmaire, Un clown en hiver (SF)
Jean-Louis Grosmaire
Un clown en hiver
Ottawa, du Vermillon, 1988, 173 p.
Question nostalgie, la SF entretient des rapports ambigus avec le passé. Autant son regard est braqué sur l’avenir, autant elle peut piller les formes anciennes (histoires de chevalerie, mythes, westerns et autres affrontements canoniques) afin de construire ses visions. C’est qu’à la base, il y a ce goût pour un monde jeune et neuf, lointain mais pressenti, et en même temps un retour aux sources premières de l’émerveillement. Par contre, si le passé est réponse (nous savons ce qui vient avant nous, ou, du moins, nous croyons le savoir), le futur est question : ce qui pourrait se vivre, ce qui se vivra. Les meilleures oeuvres de SF sont celles, non pas qui nous offrent des réponses, mais qui transposent l’inconnu au centre de notre conscience pour le faire parler, n’apportant ainsi que d’autres questions, incertitudes.
Un clown en hiver de Jean-Louis Grosmaire est un roman dominé par une nostalgie qu’on pourrait qualifier pathologiquement de maniaque. Situé dans le Québec des années 2033, les symptômes de ce singulier malaise ont dévoré le paysage, les gens, leurs langages. Dans ce désert de glace ne circulent que des individus isolés se nourrissant de souvenirs avant de sombrer dans une catastrophe qu’on sent imminente. « Il ne faut pas m’en vouloir, je vais vers le passé, comme d’autres foncent en avant ou se perdent en mer, pour fuir le présent. », avoue un des personnages. Ce mouvement de retrait intérieur, le roman le reproduit sans cesse mais toujours dans l’ordre de la maladie. Elle prend toute la place, s’éteint ici un instant pour reprendre plus virulente ailleurs. Si elle n’est pas visible, c’est qu’elle est tout simplement latente. Contaminé d’un bout à l’autre, le roman peut évoquer ce qu’Hollywood appelait dans les années cinquante des « one-horse movies » où, faute de budget, on filmait les cavaliers un après l’autre puisqu’ils enfourchaient tous le même cheval. Le cheval s’appelle ici : concept. Le concept peut changer de nom, se donner des allures différentes, en littérature il garde toujours cette merveilleuse propriété : il n’a ni odeur, ni saveur. D’un personnage, il fait une entité abstraite, une marionnette impliquée dans une démonstration d’ordre moral ou philosophique.
Le procédé, on le découvre dès l’ouverture du roman avec la rencontre du narrateur avec un inconnu du nom de John Scott. La relation, intense et profonde, sera courte. Le temps pour John Scott de se suicider et de gagner le monde des concepts. Il s’appellera désormais « souvenir » chaque fois que le narrateur s’adressera à lui à travers sa conscience torturée. Autre exemple : le trio, espèce de mariage à trois, que forment le personnage principal avec un autre homme et une femme. Dans cette union, chacun occupe une case bien déterminée. Guillaume, le clown, représente la sensibilité, Laurence, la femme-docteur, est la raison et Mathieu, l’ouvrier, l’émotivité. Quant aux autres personnages du roman, ils continueront à se définir selon leur fonction dans le texte : la prophétesse qui prophétise, la jeteuse de sort qui jette des sorts, François le rebelle qui se rebelle, etc.
Quand l’hiver n’est plus l’hiver. Quand derrière chaque banc de neige, chaque flocon se dissimule une idée. Quand une promenade paisible le long d’un fleuve se transforme en image symbolique du temps qui s’écoule, c’est qu’il y a surenchère du signe. Pour le lecteur, la liberté d’interpréter n’existe plus. Une logique s’installe, qui découle des idées mises en place. La technique peut être efficace. Fables, allégories (on pense au livre de Sade, Justine ou les Malheurs de la vertu), l’utilisent. Mais elle ne vaut que ce que valent les idées de l’auteur.
De la nostalgie, état d’esprit hautement individuel, Jean-Louis Grosmaire a voulu faire un phénomène social, une maladie à l’échelle mondiale. Le paradoxe du livre, c’est de porter ce regret du passé sur notre époque présente. Le rejet de la technologie, le retour à la nature n’aurait de sens que dans les années 2033. Nous vivons une époque bénie où le mouton produit encore une laine naturelle, où le pot-au-feu est toujours mitonné selon les règles de l’art. Cet aspect interdit de voir dans le roman, malgré la meilleure volonté, une critique voilée de notre propre société.
Le futur n’est envisagé ici que comme une extension poussée de l’environnement technologique actuel. Il est décevant de constater comment pour certains auteurs, imaginer l’avenir se résume à ajouter des raffinements à des gadgets déjà existants tout en augmentant le degré de pollution environnante et, en ceci, Un clown en hiver rejoint Les Samourailles de France Boisvert.
Dans cette démarche, il n’y a pas de place pour l’inconnu. Le futur nous est renvoyé comme un écho dis tordu du présent, un endroit étrange tellement il nous est familier. Un clown en hiver est une œuvre pleine de bonnes intentions qui se veut positive, humaine, antitechnologique : « La science-fiction est laide lorsqu’on la vit ! Science-friction ! », peut-on y lire. Mais justement l’auteur a choisi le mauvais médium pour exprimer ses préoccupations. Dans un décor fait sur mesure, cousu de fil blanc, celles-ci ne peuvent que sonner fausses, artificielles.
Michel LAMONTAGNE