Bertrand Vac, Bizarres (Hy)
Bertrand Vac
Bizarres
Montréal. Guérin (littérature), 1988, 159 p.
Récipiendaire à trois occasions du prix du Cercle du Livre de France et auteur d’une dizaine de volumes depuis 1950, Bertrand Vac signe, en 1988 chez Guérin, un recueil de nouvelles des plus intéressants. La première, « Bizarre », donne son titre à l’ensemble des huit récits contenus dans l’ouvrage. L’auteur a choisi cependant la marque du pluriel pour distinguer sans doute l’œuvre générale de la nouvelle particulière, d’une part et, d’autre part, surtout parce que l’insolite prévaut, à des degrés divers, dans tous ses textes.
Toutefois, ces mises en situation où un élément singulier connote significativement le libellé ne mènent pas toutes au fantastique. Deux nouvelles seulement se rattachent à ce champ, la quatrième et la sixième du recueil.
« Nuits 1002, …3,4 et 5 » est manifestement en référence aux Mille et Une Nuits. Schéhérazade est remplacée par un gnome issu des volutes produites par un fumeur d’opium. Ce narrateur fixe, pour le profit de son opiomane, tout un décor oriental dans lequel se déroulent ses quatre récits internes. Comme dans l’œuvre arabe, ces récits ont valeur de parabole et Vac termine sa nouvelle à la façon d’une fable. Le ton se fait moralisateur : « Il faut être conséquent avec soi-même » (p. 89). La vie est un leurre pour le fumeur pusillanime. Des huit nouvelles, « Nuits… » est la plus grave. Le sarcasme du gnome a pris la place de l’humour léger, spirituel, des autres textes du recueil.
« Un soir d’Halloween » se situe dans le ton général de l’œuvre. Le narrateur, un célibataire, effectue parfois des achats incongrus lorsqu’il s’ennuie. Cette fois-là, ce seront six balais auxquels il ne pourra pas résister alors qu’il « habite un… trois pièces où les parquets sont recouverts de tapis » » (p. 104). Sa compulsivité le couvre de ridicule jusqu’à son appartement, d’où il téléphone à des amis pour s’en débarrasser. Il ne réussit à en caser aucun. Le téléphone sonne, une voix féminine le somme de garder les balais, qu’on viendra chercher en soirée. Mais notre narrateur a une sortie – il a des billets pour un ballet ! – et laissera les balais, tous enrubannés, à sa porte.
À son retour, les six ont disparu, leur emballage fantaisiste abandonné dans le couloir. Il se fera réveiller… par une sorcière et ses cinq filles se baladant, chacune sur son balai, devant sa fenêtre du cinquième étage.
Vac, dès le début de cette nouvelle, nous a installés dans un cadre fantastique même si l’action se situe dans un Montréal très contemporain avec son monde cosmopolite et son mode de consommation. Le traitement est différent de la nouvelle précédente mais l’auteur sait donner une crédibilité à ses histoires par une description détaillée et subtilement émaillée d’humour.
Bertrand Vac continue, avec Bizarres, à marquer le ciel littéraire québécois. Son style charme par sa fluidité et cela témoigne d’une maîtrise de l’écriture par l’un de nos grands routiers. Les lecteurs de fantastique auront assurément autant de plaisir à lire « Nuits… » et « Un soir… » que les six autres nouvelles, et peut-être en profiteront-ils pour relire les œuvres précédentes de cet auteur que dix ans de silence avaient un peu éclipsé de notre horizon.
Georges-Henri CLOUTIER