André de Sève, Les Conquérants de Shaddaï (SF)
André de Sève
Les Conquérants de Shaddaï
Montréal, Louise Courteau, 1988, 565 p.
Véritable roman-fleuve, Les Conquérants de Sbaddaï est un événement inattendu dans le milieu de la science-fiction québécoise, un surprenant mélange de space opera et d’ésotérisme, un « Bob Morane » à l’écriture un peu bâclée, mais à l’enthousiasme absolument réjouissant ! Alors que de façon générale, en littérature québécoise, l’aventure, le sense of wonder si cher aux Américains, est évacuée en faveur d’une forte tendance à l’introspection psychologique, le terme retrouve ici sa pleine saveur, nous entraînant à la suite de ses nombreux personnages d’un rebondissement à l’autre, les coups de théâtre et révélations mystérieuses se succédant à une allure folle !
À plus de 560 pages, il était inévitable que le roman comporte certaines faiblesses, mais l’entrain de toute l’entreprise, ainsi que le recours à des chapitres courts, qui nous donnent une vision saccadée de l’action, réussissent à nous faire accepter, sinon oublier, la plupart des défauts qui marquent ce premier (à ma connaissance) ouvrage d’André De Sève.
Les premières pages du livre nous plongent littéralement en pleine épopée « cosmique », alors que nous assistons à divers intrigues et conflits entre les « entités de pure énergie » qui dirigent notre univers et notre destin à tous. Puis, graduellement, nous serons témoins de la création de cet univers, des galaxies, et, éventuellement, de la Terre elle-même. Tout ceci se déroule alors qu’en arrière-plan, les hostilités impliquant ces étranges « entités » ou « esprits » s’aggravent, et commencent à sérieusement perturber la trame de leur monde.
Le conflit culminera finalement avec une bataille en règle pour la domination de la Terre, où s’affrontent créatures extraterrestres et rebelles humains. Atlantes. L’utilisation ici de l’Atlantide comme toile de fond rappelle certains épisodes de la fameuse série des « Perry Rhodan », alors qu’André De Sève laisse libre cours à son imagination débordante, ce qui donne lieu à une suite de péripéties extrêmement amusantes, dont l’extravagant eut présenté sa version de la Genèse et du Déluge (l’Arche de Noé comprise !), agréables variations sur ce thème. D’ailleurs, on termine cette première partie du livre plutôt réconforté, car l’abus de noms comme El-Azlshrama, aux connotations plus ou moins occultes, et l’insistance de l’éditeur à souligner les aspects ésotériques de l’œuvre auraient pu faire craindre le pire.
Cette appréhension refait toutefois surface avec le début de la deuxième partie, alors que nous assistons à l’enlèvement d’une famille à l’aide de moyens qui rappellent étrangement Rencontre du troisième type et ses multiples imitateurs (voiture soudainement immobilisée, brusque silence, etc.). Heureusement, l’auteur se reprend vite en main, et réussit à malgré tout maintenir à un niveau acceptable son apparente passion pour les OVNIs et autres phénomènes paranormaux.
Il demeure cependant que l’intérêt porté par André De Sève à de telles questions empreint l’ensemble de son livre. Ainsi, nous retrouvons ce complot « occulte » déjà décrit par bien d’autres, et qui consisterait en une tentative de mainmise par des puissances extraterrestres sur la planète, avec la collaboration en cela des dirigeants des nations les plus importantes. Également, il y a cette vallée inconnue, perdue au cœur de l’Arctique, où survivent encore les derniers descendants des rebelles atlantes. Si l’on ajoute en plus qu’il existe un plan destiné à parachever l’emprise « occulte » sur la Terre, plan qui culminera avec ces mystérieuses « Noces chimiques » auxquelles il est fait allusion à quelques reprises, on se rend bien vite à l’évidence que l’auteur est dangereusement proche du mysticisme bon marché que l’on retrouve dans les nombreux livres du même genre en vente au dépanneur du coin ou au supermarché.
Toutefois, comme précédemment mentionné, il parvient à éviter ce piège, grâce surtout au rythme d’enfer qui caractérise son écriture. Parfois, d’ailleurs, il en met presque trop, un peu comme ces films dont la principale qualité est l’importance démesurée accordée aux effets spéciaux. Mais, encore là, il s’en sort avec succès, fouillant juste assez la psychologie de ses personnages pour contrebalancer l’action ininterrompue qui les entraîne de rebondissement en rebondissement. De plus, une caractéristique fort amusante de ces personnages est leur optique tout à fait québécoise face aux problèmes qui se présentent à eux, résolus pour la plupart par le « fameux » Jean-François Tremblay, sorte d’invincible James Bond québécois !
La confrontation finale, comme la plupart des conclusions de romans ou de films d’aventure, déçoit un peu, lorsqu’on la compare à toutes les épreuves auxquelles ont déjà survécu les héros. Mais, quand même, il faut reconnaître qu’André De Sève a su habilement réunir les différentes trames narratives qui s’entrecroisent tout au long du récit, pour les fondre en une seule à la fin, mettant ainsi un terme à son histoire qui satisfait le lecteur, et se laissant en même temps une ouverture au cas où lui viendrait l’inspiration pour un second volume dans ce qui pourrait facilement devenir une série.
En définitive, Les Conquérants de Shaddaï est donc un bon roman, plutôt amusant à lue, mais qu’il faut aborder comme s’il s’agissait d’un « Indiana Jones » ou d’un « James Bond », c’est-à-dire avec humour et un goût pour l’exagération, sans quoi les trop nombreuses références à l’ésotérisme et l’occultisme, dont il faut essayer de faire abstraction, pourraient en gâcher la lecture.
Jean-Philippe GERVAIS