Évelyne Bernard, La Vaironne (Fa)
Évelyne Bernard
La Vaironne
Montréal, Guérin (Romans), 1988, 251 p.
La manière dont cet ouvrage m’a été transmis pose le problème de la réception d’une œuvre littéraire ; déjà peu après sa parution, il était précédé d’une rumeur qui en faisait une des œuvres les plus marquantes de l’année et en bonne place pour le Grand Prix de la SF et du F québécois. J’étais donc préjugé positivement et croyais avoir trouvé l’excellent livre dont j’avais besoin pour agrémenter un trajet en avion le lendemain. Je n’ai pas réussi à terminer le livre ni entre Ottawa-Cincinnati, ni entre Cincinnati-Ottawa, ni pendant les 4 mois qui ont suivi. Le lecteur peut déjà anticiper la substance des commentaires qui suivront. Mais lorsque la nouvelle est sortie qu’il avait effectivement remporté le Grand Prix, je me suis senti une obligation morale de terminer le roman rébarbatif.
L’intrigue est une histoire d’obsession, celle d’un auteur de romans policiers envers un de ses personnages, Agnès, qui l’entraînera jusqu’à une île mystérieuse et inquiétante où habite une Agnès qui est le double de sa création. Il y découvre une histoire de malédiction et d’accusations de sorcellerie envers Agnès.
Je n’irai pas plus loin puisque l’intérêt du roman repose en grande partie sur le secret de l’intrigue, comme la plupart des romans policiers. Oups, est-ce un lapsus ? On en a parlé comme d’un texte fantastique, pourtant malgré cela, c’est exactement ainsi que m’apparaît La Vaironne : un roman policier avec rattrapage fantastique en fin de course. Bien que j’aie entendu l’auteure déclarer lors d’une entrevue à la radio que ce roman avait été conçu comme du fantastique, le résultat final ne correspond pas à cette annonce ; de deux choses l’une, soit qu’il s’agit d’une rationalisation a posteriori soit qu’elle a raté son coup pour la partie fantastique. En tout cas. Lettres québécoises n’a pas du tout eu tort de faire la critique du livre dans sa chronique de roman policier et non de SF-fantastique.
Probablement qu’entre en jeu ici un effet d’atomes crochus esthétiques ; il se trouve que moi, je n’ai pas marché. L’intrigue fantastique (pour ce qui en est) m’a parue des plus éculées (la peintre animalière qui vole l’âme de ses sujets, ce n’est pas neuf) et prévisible ma chère enfant, vous n’avez pas idée (quelle surprise d’apprendre qu’A. Corrigan, implicitement un homme, est en fait Agnès). Mais là où le livre achoppe vraiment de mon point de vue, c’est dans l’étalage de personnages stéréotypés, peints avec une unidimensionnalité désarmante. Les femmes sont tour à tour frigide, méchante, cruelle, fétichiste/dominatrice et ça c’est pour celles qui ont une certaine personnalité ; à l’opposé, on trouve les fadasses sans personnalités et les pures victimes. Les hommes ne s’en tirent pas mieux, depuis le ridicule auteur obsédé (obsession qui n’arrive pas à la cheville de ce qu’ont fait sur le même sujet Nabokov, Hitchcock ou Fowles), jusqu’à ce « pôvre » petit homosexuel en chaise roulante qu’on semble prendre en pitié pour sa « double » infirmité (physique et sexuelle).
L’écriture ne rachète pas grand-chose ; elle est correcte, bien faite, mais sans grande personnalité stylistique. Je n’arrive vraiment pas à comprendre le succès du livre auprès des critiques spécialisés et surtout du jury du Grand Prix. Voilà pour moi le type de roman qu’on aime parce que les autres l’ont aimé et que l’on ne veut pas avoir l’air d’un péquenot. Le retentissement qui a précédé la lecture du roman m’a certainement influencé et ma lecture n’a donc pas été tout à fait détachée. Mais je ne crois pas qu’il m’aurait été possible même dans d’autres circonstances de trouver plus de bon dans cette œuvre surfaite. Dans L’Année de la SF et du F québécois 1988, Jean Pettigrew décrit ce roman comme le « point d’orgue » de 88 (l’analogie musicale n’est pas très heureuse mais on comprend ce qu’il veut dire) ; n’oublions pas qu’un point d’orgue est une note soutenue pendant la durée arbitraire voulue par chaque chef d’orchestre. Dans ce cas-ci, le chef aurait dû casser son bâton.
Mike ARCHAW