Jean-François Somain, Dernier Départ (SF)
Jean-François Somain
Dernier Départ
Montréal, Pierre Tisseyre, 1989, 354 p.
Il est des romans que l’on referme avec le sentiment d’avoir passé un moment agréable. Mais sans plus. D’ordinaire, ce genre de plaisir s’étiole passé quelques heures, sinon quelques minutes. Les échos fléchissent sous le temps. On dit de ces romans qu’ils sont gentils. Unique qualificatif qu’on leur accole comme pour s’en débarrasser plus vite.
Dernier Départ est un roman gentil.
L’auteur s’appelait jusqu’aux dernières nouvelles Somcynsky. Voilà qu’à son quinzième livre il signe Somain. Pour n’avoir pas lu le premier (eh non, que voulez-vous !), je ne savais à quoi m’attendre du second. On m’a livré un récit prenant, facile à lire, qui nous soustrait quelques instants aux choses importantes. Ceux qui ont l’âme d’un Robinson s’y plairont sans doute. Pour le reste, c’est une autre histoire.
Dernier Départ a pour centre un énorme cliché, si gros qu’il risque d’éclater comme un ballon trop gonflé. L’auteur devra donc user d’habilité au risque d’étrangler l’imagination avant même qu’elle ne décolle. Mais non, Somain, qui semble se cramponner au désir de plaire à tout prix, emprunte un sentier mille fois battu, soucieux de ne pas brusquer son lecteur. Chaque rebondissement de l’intrigue sera lié au caractère stéréotypé des êtres créés par Somain et à l’idéologie dont chacun se fait le porte-parole. La galerie de personnages convoquée dans Dernier Départ n’aura d’équivalent que celle de petites moralités simplistes qui prétendent donner à une nouvelle société des fondements les plus sûrs. Amateurs de réflexions consistantes et de psychologies inattendues, s’abstenir.
Le roman a pour point de départ une catastrophe (nous sommes quelques années après l’an 2000) dont onze survivants, isolés aux confins de l’Amazonie, ignorent l’ampleur et l’origine réelles.
Repliés, ironie du sort, dans une centrale nucléaire, huit hommes et trois femmes (belles toutes trois, il va sans dire), ne savent trop quoi faire dans ce présent figé, sinon discutailler et baiser. On baise beaucoup, surtout entre les bras généreux d’Erna, sorte de déesse de l’amour. Même Bianca, lesbienne désabusée, finira par se [s’y] prêter, le mot est juste, mais pour des raisons bien différentes. Entre les caresses, on raisonne, plutôt violemment. Or les choses ne seront pas simples. Les rêves se heurtent, les convictions s’entredéchirent, les discours se multiplient et m’ennuient. Tout cela sur fond de mythes où il est question d’une ville fabuleuse, pardon un « état d’âme ». Cyclopolis, à laquelle se greffe son fondateur légendaire Mayac, cachés sous le personnage de Nada. Ce très vieil Indien, aveugle mais pas moins doté de curieux pouvoirs (en plus de baiser comme un Dieu, à rendre jaloux Hugo), vient mettre son grain de sel aux intarissables discussions, et donne à l’histoire une tangente décisive.
Le cœur du roman réside dans ces confrontations idéologiques où se dessinent nettement deux points de vue. Sous la houlette de Bianca se regroupent les tenants d’une société « organisée » réduisant à néant les « caprices individuels » au profit d’une collectivité rigide et homogène. L’ombre de la dictature plane, et un univers orwellien sourd au fond de cette passion pour l’ordre : « la vie privée » dira Bianca, « constitue la plus grande menace à notre besoin d’unité communautaire ». Il n’est pas jusqu’à la progéniture qu’elle ne projette de gérer. Leur est opposée la sirupeuse sagesse de Nada-Mayac, tout droit tirée du pathos peace and love Chacune des paroles du gourou, toute pétrie soit-elle de spiritualité mièvre, est investie par l’auteur du poids de la vérité profonde, et se présente comme le passage obligé pour qui veut embrasser les richesses inépuisables de la vie. Rien de très original dans cette philosophie dont l’essentiel peut être circonscrit dans la formule suivante : « L’amour n’existe que dans la liberté ». Remarquez, je n’ai rien à redire sur la justesse du message, seulement sur son insipidité.
C’est malheureux car Somain a un sens aigu du récit. Si le fond ne pèche pas par son originalité, le roman a cependant quelques qualités : l’habileté des dialogues, l’absence de temps morts, l’humour, concourent à donner au livre un rythme efficace qui est à mettre au crédit de Somain. Je me suis surpris à poursuivre la lecture malgré tout, malgré une écriture très moyenne mais ponctuée parfois de séquences drolatiques bienvenues, voire d’humour noir. En témoignerait par exemple ce passage où, face au paysage lacéré par la catastrophe, deux rescapés passent quelques commentaires : « Avouons quand même, dit George, que ç’a été une façon efficace d’éliminer le paludisme. Un monde sans moustique, sans insectes, peut-être sans virus ! Magnifique ! On s’est aussi débarrassé des victimes éventuelles, souligna Kazuko. »
Somme toute. Dernier Départ a fait fausse route en ne misant pas sur le lecteur adolescent. Il est fort probable que le discours lourdement pédagogique de Somain trouverait là une oreille plus attentive. Ne lit-on pas, presque à l’ouverture du roman : « Pour nous, c’est simple : nous sommes les derniers survivants de la Terre. Comme dans les romans de science-fiction à bon marché que je lisais dans ma jeunesse. »
Fabien MENARD