Yves E. Arnau, Laurence (Fa)
Yves E. Arnau
Laurence
Montréal, Pierre Tisseyre, 1989, 132 p.
Pas plus qu’il n’est simple d’innover en matière romanesque, il ne va de soi de se plier au jeu de l’imitation d’un genre littéraire, avec tout ce que cet exercice suppose de règles et de contraintes : le pastiche. Au roman de Yves Arnau préside ce projet de pasticher le style des grands maîtres de la littérature fantastique du dix-neuvième siècle. Parmi eux, Gautier, Hoffman, Maupassant, Poe, Gogol, Potocki, Hawthorne, autant d’écrivains auxquels ce genre doit sa formation.
Le pastiche est l’art de la condensation, de s’approprier ce qui constitue l’essentiel d’une œuvre ou d’un genre, de « distiller » un procédé d’écriture pour en tirer ses spécificités. Et de cette concentration des formes d’expression, des tics du modèle, résultera l’humour. Le lecteur devra reconnaître, non seulement des figures précises (en l’occurrence, des vampires, des revenants…) et des lieux privilégiés (châteaux, ruines…), mais surtout des procédés stylistiques, narratifs, et des thématiques maintes fois éprouvés par la littérature fantastique du siècle dernier. Ce préambule pour en arriver à dire que Laurence d’Arnau ne réussit peut-être pas à relever entièrement ce défi.
L’univers dépeint par Laurence convoque certes bon nombre d’éléments propres au drame fantastique. Dès le début, Arnau établit la complicité obligée lecteur/narrateur. Le récit prend place dans un vieil immeuble aux allures moyenâgeuses, où viennent fraîchement d’arriver le narrateur, Francis Leclerc, et sa compagne, Laurence. Inutile de résumer cette histoire qui s’érige sur une construction commune à des dizaines de récits, où défilent à vive allure une pléthore d’événements surnaturels. Il n’est pas jusqu’à un chat, animal dont le prestige n’est plus à faire en matière de sorcellerie, qui n’y ajoute sa griffe. Le pastiche réside plus encore dans cette angoissante oscillation, à laquelle n’échappe guère le narrateur, entre l’explication rationnelle d’un phénomène et son fondement insaisissable, lié à des lois inconnues. Était-ce un rêve ou la réalité ? Éternelle hésitation dans laquelle, on le sait, Todorov puisait l’essence du fantastique (aussi discutable soit-elle, il demeure, me semble-t-il, que cette définition s’applique avec justesse aux récits fantastiques du dix-neuvième siècle).
Mais il n’est de véritable pastiche que dans l’adoption d’un langage et d’une « manière de penser ». Je ne sais pas dans quelle mesure Arnau s’est documenté à propos du style littéraire qu’il emprunte, pas plus que je ne sais si l’intention de pasticher, telle qu’affichée au dos de la couverture, répond davantage à une stratégie commerciale qu’à un véritable projet d’écriture. Toujours est-il / que ce pastiche, si c’en est un, manque d’épaisseur, ne se contente de glisser que sur une surface transparente, si bien que la parodie s’essouffle et piétine rapidement. N’allez pas croire pour autant que le même grief s’applique au récit lui-même. Captivant, il se déroule dans une sorte de vertige et, lui, ne manque pas de souffle. La cadence des épisodes est effrénée et, c’est là que le bât blesse, le lecteur n’aura très tôt d’intérêt que pour elles, à défaut d’une distance romanesque sur laquelle doit précisément prendre appui le pastiche. Le contexte mimétique ne persiste nullement dans la mesure où Arnau ne reste aucunement fidèle aux écrivains qu’il veut imiter. Il est davantage soucieux d’entraîner le lecteur dans « son » histoire.
Somme toute, il aurait pu résulter de ce projet le portrait d’une littérature. Il ne s’en dégage qu’un prétexte à broder autour de quelques vieux thèmes, sans jamais rendre justice aux « grands maîtres du siècle dernier » dont Arnau « a choisi de pasticher » le style littéraire.
Fabien MÉNARD