Sophie Schallingher, L’Amour au venin
Sophie Schallingher
L’Amour au venin
Montréal, Quinze, 1989, 376 p.
La quatrième de couverture n’annonce ni de la SF, ni du fantastique, mais bien un roman policier, ou plutôt un thriller. Une lecture attentive permet toutefois de découvrir l’élément qui rend l’ouvrage pertinent à ces deux genres (je dis bien les deux, on verra plus loin pourquoi) : une araignée hybride au venin foudroyant est recueillie par une enfant qui en fait son animal domestique secret. On devine que l’adorable créature fera rapidement des ravages dans l’entourage de la petite.
L’élément scientifique, l’arthropode évadée d’un laboratoire de recherche, n’est pas développé pour lui-même, il s’agit d’une donnée de départ, un axiome du récit pourrait-on dire, qui n’admet pas d’autre développement que d’être. Les amateurs de spéculation biologique en resteront pour leur compte. Par contre, cette donnée ne cesse de planer au-dessus de tout le récit, colorant tous les gestes des personnages, tous les détours du récit. En ce sens, l’élément SF s’articule en filigrane de l’histoire, sans jamais y prendre l’avant-scène. Ce qui a déjà donné du fil à retordre à un commentateur de l’ouvrage, Jean-Marc Gouanvic, qui déclarait que le roman n’était pas de la SF puisqu’il ne comportait pas la dimension collective de la SF ; s’il fallait appliquer ce critère à tout ce qui se publie sous l’étiquette SF ici ou ailleurs, une très faible proportion se qualifierait.
Le traitement de l’élément scientifique dans ce livre rappelle certains romans du début du siècle, par Maurice Leblanc ou Maurice Renard par exemple, dans lesquels l’articulation SF reste essentiellement traitée sur le plan fantastique, comme une menace immanente et indicible qui sera souvent désavouée par une explication finale qu’on veut rationnelle. Pas de rationalisation en bout de course dans ce roman, mais un récit habité d’un bout à l’autre par l’ombre de l’araignée mortelle, jusqu’à la conclusion qui n’a rien pour rasséréner les bonnes âmes. Sans être élaboré méthodiquement, le facteur biologique colore ce roman d’un bout à l’autre.
Schallingher développe son récit avec la rigueur d’un suspense admirablement construit, qui se lit sans perte d’intérêt malgré la longueur du récit. Il n’est pas surprenant que ce roman ait mérité un prix de littérature de suspense. Même s’il ne s’agit pas de fantastique ou de SF purs et durs, cet hybride passionnera plus d’un lecteur nourri à ces deux genres.
Michèle LAFERRIÈRE