Jean Desy, Un dernier cadeau pour Cornélia (Hy)
Jean Désy
Un dernier cadeau pour Cornélia
Montréal, XYZ (L’Ère nouvelle), 1989, 110 p.
L’ennui est un sentiment parfois difficile à exprimer. La déception aussi. L’année dernière, les éditions XYZ amorçaient la collection « L’Ère nouvelle » avec deux des meilleurs recueils québécois de ces derniers temps : La Vie en fleurs de Pierre Chatillon et L’Assassin de l’intérieur d’Anne Dandurand. À l’aide de phrases brèves et précises et avec un pouvoir d’évocation peu commun, ces deux écrivains avaient alors réussi à brosser un envoûtant portrait d’une réalité tout juste en marge de la nôtre. Le lecteur conservait de ces œuvres la nette impression d’avoir été confronté à de véritables créateurs.
Ce printemps paraissaient les nouveaux titres de cette collection, et l’impression que l’on en garde est malheureusement fort différente de celle des volumes précédents. Non pas que L’Esprit en fureur ou Un dernier cadeau pour Cornélia soient sans valeur. Plutôt, rien dans ces deux recueils n’est nouveau ou différent au point de retenir l’attention du lecteur. Les histoires racontées ressemblent toutes vaguement à d’autres lues ou entendues auparavant, et le style littéraire, correct mais sans plus, n’aide en rien à éveiller la curiosité du lecteur.
Dans Un dernier cadeau pour Cornélia, Jean Désy allie l’absurde et le fantastique pour un résultat qui, d’étonnant par moment, déçoit lorsque considéré dans son ensemble. En effet, un texte-canular comme « Histoires d’oignons qui faisaient pleurer » ou même la nouvelle éponyme, devient rapidement lassant. L’auteur aurait manifestement intérêt à user de l’humour en plus petites doses car, en ce qui me concerne, mon amusement s’est peu à peu transformé en exaspération, surtout après m’être tapé les trente interminables pages de ces « Histoires d’oignons » dont on s’explique mal la présence ici.
Le fantastique, à mon avis, requiert une part de folie, de sentiments poussés à l’excès, pour vraiment envoûter son lecteur. Autrement, il ne reste qu’une froide mécanique à frissons, dénuée de toute originalité ou véritable émotion. C’est à ce moment que l’invraisemblance du propos supplante son mystère, et qu’un drame fantastique se vide de toute tension. Voilà ce qui nous est offert ici. Bien simplement, les nouvelles qui composent Un dernier cadeau pour Cornélia non seulement n’émeuvent pas, mais laissent le lecteur parfaitement indifférent.
Le recueil débute par quelques phrases inquiétantes, par un texte intitulé « Une heure dans la vie de quelqu’un » qui intrigue par son ton halluciné et la sourde panique qui semble étreindre son narrateur. Le lecteur est prêt à se laisser emporter. C’est pourquoi la banalité de ce qui suit et la conclusion par trop prévisible déçoit autant. L’histoire du malade mental abandonné en milieu hospitalier, on nous l’a déjà faite. Lorsqu’à la fin, le narrateur s’abandonne tout entier à la charge de sa folie, on sent comme un souffle qui passe, léger et silencieux, qui nous donne un bref aperçu de ce qu’aurait pu donner un traitement plus audacieux de ce thème usé.
Avec la nouvelle éponyme, de même que « La Fleur que tu m’avais jetée », Jean Désy bascule dans le burlesque sanglant, rires et frissons en moins cependant. En grossissant à outrance les situations et en ressassant des idées devenues clichés, l’auteur échoue une fois de plus dans sa tentative de renouveler des sujets périmés. Absence d’atmosphère, absence d’originalité, affligent malheureusement ces textes qu’on oublie sitôt la lecture terminée.
Mais le sentiment de « déjà vu » qu’éprouve le lecteur est le principal défaut de ce recueil. Couplé à des histoires prévisibles et un style ordinaire, cela donne un résultat plat, sans surprise, qui ne provoque en bout de ligne aucune réaction chez le lecteur, sinon un profond sentiment d’agacement et d’ennui.
Pourtant, Jean Désy n’est pas dénué de talent, de loin s’en faut. Le désespoir des premières pages de « Une heure dans la vie de quelqu’un », la musicalité de « Comme un fredonnement de Glenn Gould », la poésie sauvage de « Le Buck » – voilà autant de signes dénotant un réel talent d’écrivain. Un dernier cadeau pour Cornélia trouve ses meilleurs moments dans ses passages les plus sombres, alors que Désy réussit enfin à insuffler une tension, un mystère, dans son écriture. Le livre, tel qu’il se présente actuellement, ne possède vraiment aucune qualité distinctive qui me permettrait de vous le recommander. Cependant, il vaut malgré tout la peine d’y jeter un coup d’œil, si ce n’est que pour obtenir un aperçu de cet écrivain qui pourrait facilement devenir un nom à surveiller. Jean Désy a manifestement maîtrisé les rouages de l’art d’écrire. Il lui reste maintenant à insuffler un peu d’âme à toute cette technique.
Jean-Philippe GERVAIS