Louis Jacob, Les Temps qui courent (SF)
Louis Jacob
Les Temps qui courent
Montréal, L’Hexagone, 1990, 145 p.
Louis Jacob a déjà à son actif quelques publications de poésie en solo et un roman en collaboration avec un autre auteur mauricien. Réjean Bonenfant. Ce dernier avait fleurté avec le fantastique dans un recueil de nouvelles paru en 1987 (La Part d’abîme, dont nous avons parlé dans une chronique précédente) et c’est au tour maintenant du comparse de se lancer en science-fiction.
C’est encore en duo que Jacob et Bonenfant lançaient, il y a quelques mois, trois volumes : la réédition remaniée d’Un Amour de papier pour Bonenfant et la réédition de leur collaboration Les Trains d’exil, tous deux dans la collection Typo, puis une œuvre nouvelle de Jacob, Les temps qui courent, dans la collection Fictions de l’Hexagone.
Louis Jacob nous donne en 1990 un roman qui appartient aux univers post-cataclysmiques.
Jusque-là, rien d’original pourrait-on croire, mais le traitement poétique de cette fiction a entraîné et captivé le lecteur et chroniqueur que nous sommes car l’hiver nucléaire décrit par le jeune narrateur en devient presque beau. On n’échappe pas aux horreurs concomitantes à ce type de récit mais le poète Jacob transforme, à travers ses personnages, ces moments en une aventure avec les mots, la connaissance, l’apprentissage. La dédicace « Aux enfants et aux livres » est déjà indicatrice des intentions de l’auteur. Cette science-fiction spéculative, malgré ses airs intellectuels, demeure abordable, à notre avis, par chacun et chacune. Ce clin d’œil au lecteur qui aime le jeu des mots est loin d’être un défaut : au contraire, il s’agit d’une denrée rare dont il faut profiter lorsqu’elle passe avec cette intelligence.
Bim décide un jour de se raconter « pour laisser à (son) enfant un livre complet » (p. 140). C’est ainsi qu’en vingt-six chapitres, le narrateur fait le tour de ce qui reste du monde, c’est-à-dire quelques proches : parents, amis, relations, puis des soldats qui se disputent depuis des lustres une terre blanche qui agonise.
Le narrateur comprend peu le motif de cette guerre qui détruit tout. Deux clans s’opposent : le sud, le nord, leurs avions passent ou s’écrasent. C’est avec ses yeux d’enfant que Bim témoigne de l’absurde quotidien, lui qui n’a vraiment rien connu d’autre. Chaque « jour » – chaque chapitre – fait sensiblement le bilan d’un an, et il procède ainsi depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Le ton ne change guère malgré les années qui s’ajoutent et qui font de Bim un jeune adulte. C’est cette naïveté bon enfant qui donne à son histoire sa poésie aussi souvent triste qu’heureuse.
Certains best-sellers nous ont fait connaître des narrateurs enfants dont la lucidité n’a d’égale que l’humour noir. Le livre de Jacob peut soutenir cette comparaison avec quelques petits gosses terribles qui ne veulent plus grandir tant le présent semble con…stipant. Bim et son monde n’ont d’autre avenir que de mourir. Son geste d’écrire n’a par ailleurs qu’une mince justification. (Elle en est surtout une pour le lecteur !) Quel futur peut vraiment avoir un bébé dont les parents meurent lorsqu’il naît ?
C’est peut-être cette difficulté – trouver une fin logique – qui fait glisser un roman de science-fiction bien entrepris dans une finale plus fantastique que surréaliste. Jacob a fait là un choix qui étonne. Bien sûr, les premier et dernier chapitres, identiques, parlent de temps qui se dilatent et se contractent, de temps qui courent mais les dernières lignes du jour 22 laissent le lecteur un peu perplexe tant la dérive conduit le texte science-fictionnel dans l’irrationnel. Ce délire poétique, cette envolée – littérale – coupent ses effets au texte précédemment engagé dans la SF. Et cela nous semble regrettable.
Les Temps qui courent reste toutefois dans l’ensemble un bon roman avec de très bonnes trouvailles. Il y a là une écriture de qualité – c’est principalement ce qui nous a envoûté – mais le récit manque peu à peu de rebondissements. L’auteur s’est-il essoufflé ? Cela « expliquerait » la finale, mais il avait pourtant là un traitement relativement original d’un sujet qui l’est moins – ce qui en soit justifie votre lecture… Par ailleurs, le choix de l’auteur – quoi qu’on en ait dit – demeure quand même respectable. Il a droit au dernier mot, quelle qu’en soit la manière !
Georges Henri CLOUTIER