Jean-François Somain, La Nuit du chien-loup (Fa)
Jean-François Somain
La Nuit du chien-loup
Montréal, Pierre Tisseyre, 1990, 243 p.
L’auteur en est à sa dix-huitième publication en volume avec ce roman. Il a publié la majeure partie de son œuvre sous le nom de Jean-François Somcynsky, de 1966 à 1988. Depuis 1989, il a signé quatre nouveaux titres sous le pseudonyme Jean-François Somain.
L’écrivain au nouveau nom se fait également prolifique dans le domaine de la nouvelle et on peut donc le retrouver dans diverses revues québécoises ou européennes notamment. Sa production générale, tant en romans qu’en nouvelles, touche tous les genres dont la science-fiction, à quelques reprises.
L’ouvrage en titre, un roman, appartient, lui, davantage au fantastique. « Tout commence quand on se réveille » (7, 8, 9) reprendra Madeleine plusieurs fois dans les premières pages, tout en en variant le contenu plus tard (22, 23…). Ce leitmotiv sert d’argument logique pour amener personnages (et destinataires de l’œuvre) à admettre comme phénomènes normaux les métamorphoses subites des deux principaux acteurs qui deviennent, au fil de l’action romanesque, lycanthropes et vampires.
Somain/Somcynsky fournit à son public un volume intéressant, à la phrase courte et nerveuse, à l’action soutenue en dépit des introspections de ses personnages, un livre qui nous convainc presque de l’existence de la magie. Les habitué(e)s de l’auteur y découvrent aussi une autre facette de son érotisme. L’auteur, que ce soit sous un nom ou sous l’autre, manifeste donc récurremment un discours qui touche les échanges sexuels dans leurs multiples variétés. C’est là une marque fréquente, invariable, que seuls les textes ayant reçu une diffusion sur les ondes voient quelque peu mitigée ou censurée, la sensualité s’y révélant moins débordante, constatons-nous.
L’étonnement de chacune et chacun résiderait dans l’absence de cette constante. La Nuit… n’échappe pas à cette coutume et c’est l’occasion, cette fois-ci, de connaître les phantasmes érotiques, aux relents sado-masochistes, des loups-garous hématophages de l’histoire et de leur première victime, Nicole. On tombe souvent et rapidement en amour dans ce texte. Cette facilité qu’a la biologiste (et rationnelle) Nicole de se rassurer sur ses impressions émotives après avoir été violée par Madeleine devenue chien-loup mâle peut surprendre sans doute les âmes romantiques pour qui les entreprises de séduction s’avèrent généralement plus longues et moins turbulentes.
Bien sûr, on admettra l’existence du coup de foudre mais il semble bien plutôt s’agir ici de moments (…!) impulsifs, spontanés, éruptifs (pour employer une image de l’auteur se rapportant aux volcans). Il ne faut toutefois pas croire pour autant que le discours de Somain/Somcynsky soit pornographique ; chaque commerce s’entoure de descriptions claires, évidentes, mais sans vulgarité ni truculence. Souvent également, la narration s’accompagne de termes exprimant la tendresse, la délicatesse dans les rapports. C’est là quand même, pour l’homme-écrivain, un mérite non-négligeable. L’auteur pratique une écriture descriptive de type naturaliste.
Peut-on ignorer, ou bouder l’auteur pour cette propension à connoter continuellement ses intrigues de passages langoureux ou insistants ? Le faire peut tenir de la censure ou de la critique moralisante et prêchi-prêchante. L’œuvre est ce qu’elle est et doit se défendre elle-même et se justifier. Celle de Thériault, dans un domaine semblable : une sexualité forte, souvent sauvage sinon bestiale, a fini par s’affirmer !
Le roman se ferme peu à peu et la vie se normalise, devient morale, malgré les credos en la magie. Le goût pour le sang des lycanthropes s’estompe au bout de quelques jours, leurs relations sado-masochistes s’amenuisent lorsque le pouvoir qu’ils en tiraient devient moins jouissif, leurs métamorphoses mêmes apparaissent s’interrompre après leur rencontre du peintre qui les a mis au monde en les imaginant et en les peignant dans une maison lui ayant déjà appartenu. Tout est bien qui finit bien car la fiction a atteint la réalité.
Non canonique, La Nuit du chien-loup débouche sur une résolution quasi complète de sa problématique. En effet, Madeleine et Francis après quelques phases de mutations et d’expérimentations sexuelles particulières terminent leurs transformations en se stabilisant sous forme d’un couple d’adolescents « adonistiques ». « Les rêves se mettent à vivre, comme tout le reste. La réalité est tellement malléable ! » (241), conclut le peintre Higgerty qui par ses fictions picturales a donné, véritablement, au couple une nouvelle vie.
Georges Henri CLOUTIER