Daniel Sernine, Les Rêves d’Argus (SF)
Daniel Sernine
Les Rêves d’Argus
Montréal, Paulines (Jeunesse Pop), 1991, 155 p.
Au retour d’une mission de sauvetage impliquant la station orbitale Mir, Marc Alix voit ses vacances perturbées lorsque son ami Cari Andersen lui confie la garde de son fils Tobie, qui vient de perdre sa mère lors de la tragédie du patrouilleur Hati, disparu corps et biens au large de Pluton-Charon.
L’adolescent paraît d’un accès difficile, d’autant plus qu’il passe ses journées branché au réseau Idéa, et qu’il semble y affronter un cauchemar de plus en plus horrifiant.
Quel problème, ces résumés ! Celui-ci ne donne qu’une idée de ce qui constitue le point de départ de ce très beau roman, d’une telle complexité qu’il ne peut être réduit à la seule dimension de son intrigue sans risquer d’en perdre toute la saveur, surtout à cause de ce ton de poésie nostalgique qu’on retrouvait déjà dans Le Cercle violet et Le Cercle de Khaleb. Construit selon une structure en parallèle, Les Rêves d’Argus est une œuvre riche qui offre assez de matière pour satisfaire des lecteurs aux goûts divers : de la SF hard comme on en trouvait dans Argus : Mission Mille, avec le sauvetage de la station Mir ; du roman « réaliste », avec la relation de compréhension qui s’établit difficilement entre Marc et son jeune protégé ; du fantastique épique, avec l’univers que Tobie explore dans le réseau Idéa ; du roman d’atmosphère, avec les très belles scènes descriptives du monde d’Argus et du monde de Ters…
La SF hard constitue la difficulté la plus substantielle du roman, à cause du grand nombre d’informations que le lecteur doit assimiler, par exemple les explications techniques sur la station Mir et ses difficultés, mais il faut saluer ici le courage de l’éditeur qui ne prend décidément pas ses lecteurs pour des imbéciles et qui, lui, ne croit pas que les initiales « SF » signifient « n’importe quoi ». Il se publie bien assez de petits romans simplets et manichéens pour satisfaire les lecteurs les plus paresseux, offrons aux autres des œuvres un peu plus consistantes.
Quant à l’aspect « roman réaliste », j’ai été très touchée par la vraisemblance des scènes qui décrivent la relation Marc/Tobie : le refus de Marc de jouer les pères suppléants, la relation de bonne entente qu’il tente d’établir avec Tobie, le mutisme de l’adolescent qui se refuse à accepter son deuil, tout cela sonne si juste qu’on le croirait vécu.
La partie « fantastique épique » rejoindra certainement les adolescents amateurs de jeux vidéo et de jeux de rôle, puisque le réseau Idéa combine ces deux divertissements. De plus, l’univers « inventé » de Tobie constitue une très riche création de monde, Sernine s’étant donné la peine de doter Ters d’une faune et d’une flore originales, avec pour résultat un effet d’étrangeté des plus réussis. J’ai trouvé bien dommage que l’aventure de Finn ait une fin, mais quelle belle fin !
L’atmosphère du roman, comme je l’ai dit plus tôt, en est une de nostalgie, il flotte une poésie aérienne qui tient peut-être aux images littéralement aéronautiques : les vues de la Terre, que ce soit d’Argus ou d’un scaphe en orbite, qui répondent en quelque sorte aux vues des trois lunes dans l’univers de Ters ; le désir d’envol de Tobie, par son habileté dans les « glissades d’air » d’Érymède et par l’habileté de son personnage de Finn, avec le planaile, dans le monde de Ters ; la présence du mystérieux spectre qui hante Finn (et Tobie), jusqu’à la finale symboliste, tout plane dans ce roman, et en même temps tout est profond, ancré dans nos émotions.
Les personnages sont vivants et vrais, il n’y a ni bons ni méchants, dans Les Rêves d’Argus, rien que des « gens » qui vivent des difficultés dont ils doivent triompher.
Il y aurait encore long à dire sur ce dernier roman de Daniel Sernine, mais je préfère inviter le lecteur à tenter lui-même ce beau, ce merveilleux voyage aux confins d’un double univers.
Francine PELLETIER