Hugues Corriveau, Autour des gares (Hy)
Hugues Corriveau
Autour des gares
Québec, L’Instant même, 1991, 227 p.
Récipiendaire du Prix Adrienne-Choquette 1991 de la nouvelle pour ce recueil, Hugues Corriveau n’est certes pas un nouveau venu en littérature québécoise : des collaborations à la Barre du Jour et à la Nouvelle Barre du Jour dont il devient l’un des directeurs, des publications aux Herbes rouges, deux romans et des essais chez quelques éditeurs. Mais son apport en fantastique ou en science-fiction reste très mineur (un seul texte recensé par l’équipe de L’Année…, en 1989) et le restera sans doute encore un temps malgré la parution du présent livre.
En effet, Autour des gares n’enrichit pas beaucoup nos domaines de prédilection. Rien encore pour la science-fiction, ni de près, ni de loin. Peu de récits, selon notre évaluation, qui relèvent du fantastique… Des fantastiques canonique et moderne !
Les cent textes brefs de deux pages de Corriveau – un seul en amorce une troisième – qui constituent le recueil primé se voient réunis sous quatre grandes distinctions thématiques : la cruauté, la beauté, l’illusion, l’étrangeté. Au fil de la lecture, on découvre de multiples situations où narrateurs (en majorité au « je ») racontent de petits faits plus ou moins horribles dont ils ne sont, plus souvent qu’autrement, que les témoins et les interprètes. Mais ce facteur ne mène pas l’ensemble, ni le pièce à pièce, au fantastique horrifique, le retour à la raison des récitants annihilant notre hypothèse. On constate bien sûr des étonnements, des embarras, des questions soulevées mais les estimations logiques et rationalisantes de ces mêmes narrateurs nous paraissent alors empêcher cette classification généralisante. Il reste quelques exceptions, presque tendancieuses, où notre rejet formel peut se trouver en défaut. Elles se rencontrent dans la quatrième partie intitulée « d’étranges façons ». Elles sont cinq… seulement. (Nous aurions préféré en remarquer davantage, mais peut-être l’écrivain formaliste appréciera-t-il de ne pas trop être rattaché à cette espèce de sous-littérature !) Cinq ! À peine donc dix pages… sur 227 !
Nous avons retenu – au grand dam de Corriveau ? – « Les Derniers Bagages avant le vide » et « Les Messieurs du bordel » comme les plus intéressants (pour notre manie de commentateur) et les plus « fantastiques » de tout le recueil : ainsi, un homme en rupture plie bagages et les envoie par train, sans adresse d’arrivée… les wagons s’allongent, s’allongent, à cause des effets personnels… le voyageur observe du quai, libéré, le convoi qui démarre (pp. 183-184]) ; ailleurs, un autre individu, en attente dans une gare de province, se désennuie et guette les activités évidentes d’un hôtel de passe en face… où un « fonctionnaire bedonnant, trottinant, sautillant, s’approch[e] de la plus insignifiante des filles » (p. 197) et conclut rapidement son contrat… sitôt disparu, sitôt revenu, pense le pérégrin… mais non, un nouveau fonctionnaire, puis deux autres, « identiques au premier », s’amènent pour les mêmes motifs… le voyageur n’en peut plus, s’engouffre dans son train, paniqué (pp. 197-[198]).
Insolites ou de fantastique moderne, les nouvelles « Le Village près de Gôteborg », « Le Crâne de chien » et « L’Invité de la dernière heure » nous posent toujours problème. Leur ambivalence laisse le narrataire perplexe.
Au premier texte, – aurait-il sauté au hasard de la composition un élément de phrase ? – il semble manquer un passage qui le rendrait plus explicite : « Un peu plus au nord parvenait jusqu’à nous (sic) et je rêvais à Trondheim et Bodo, but ultime de mon voyage. » (p. 209). Le narrateur voit son train s’arrêter vis-à-vis une gorge montagneuse. Soudainement, un hameau sans identification s’illumine, maison par maison, mais nul ne semble y vivre. Le train repart, le voyageur voudra revoir un peu plus loin ce spectacle incongru, mais plus rien que le noir !
Les second et troisième textes reprennent certains poncifs du canonique : crâne intriguant, palimpseste étonnamment conservé, disparition inopinée de l’étrange ami pour l’un ; « cimetière échevelé » (p. 219), conteur morbide et témoin-narrateur aussi mort que vif pour l’autre. Mais voilà que la raison raisonnante des relationnistes conforte les récits dans la quasi-quotidienneté, dans le fait divers… et c’est l’inconfort de la « modernité » qui surgit pour l’interprétant. Parce là, c’est la personne qui lit qui doit faire le choix ! Nous avons alors opté pour le fantastique moderne ! Cette maigre sélection n’en empêche aucune autre ! Parmi les 95 autres textes, nous en qualifions d’insolites, d’étranges, de bizarres mais ils se concentrent surtout dans la quatrième partie.
Corriveau, devons-nous souligner par ailleurs, a cherché à faire un produit assez particulier : chacune de ses nouvelles évoque le train, surtout dans des paysages européens (parce qu’ici le TGV Québec-Windsor, ce n’est pas encore réalisé – c’est de la science-fiction ! et que les services passagers ont considérablement souffert des coupures budgétaires ces récentes années… ce qui n’attise pas spécialement un écrivain aux cent histoires, présumons-nous) ; chacune des nouvelles porte aussi une citation de Proust intégrée au récit. Cette double volonté, croyons-nous, mérite le détour qu’il nous propose « autour des gares » du monde. À moins que vous ne soyez déjà en train de…
Georges Henri CLOUTIER