André Montambault, Étrangers! (SF)
André Montambault
Étrangers !
Montréal, Logiques (Autres mers autres mondes), 1991, 291 p.
Il est impossible de lire ce livre sans parti pris… et c’est peut-être bien ce que l’auteur désire. André Montambault évite pourtant de rendre l’allégorie trop transparente : ce roman sur l’avenir du Québec mentionne les partis existants, exception faite du Parti Égalité, mais il s’ouvre sur un congrès à la chefferie du Regroupement souverainiste (RS), parti inventé qui s’inspire plus du PQ que du Parti libéral.
L’auteur a été professeur ingénieur et coopérant. Il varie avec aisance les discours politiques qu’il fait tenir à ses personnages, à commencer par François Lecours, chef sortant du RS et pragmatiste éclairé en faveur de la tolérance. Celui-ci croyait sa réélection à la tête du RS assurée, mais un nouvel adversaire obtient une popularité surprenante en se faisant le chantre d’une ligne dure du Québec à l’égard des « étrangers ».
Le deuxième chapitre présente Manuel Luis Cardoso, qui quitte en 1949 son pays et sa pauvreté pour tenter sa chance aux États-Unis. (Note : Le nom de Manuel, tout comme celui de la ville mexicaine de Progreso, n’est pas épelé correctement une seule fois Cardoso devient même Cardasso en quatrième de couverture. Pourtant, l’hispanophone le moindrement lettré sait qu’il n’existe pas de « s » redoublé en castillan.) Les aventures de l’émigré mexicain constituent de loin les pages les plus prenantes du livre dont il est le personnage emblématique. Manuel aboutit à Montréal, où il fondera une famille ; les chapitres pairs retraceront son histoire, puis celle de son fils, en même temps que celle du Québec depuis les années cinquante.
Les chapitres impairs sont consacrés au congrès du RS et permettent aux uns et aux autres d’énoncer leurs opinions. Les figures de Lecours et ses alliés se dégagent avec peine de leur gangue de bons sentiments, d’idéalisme et d’analyses politiquement correctes. Ils animent pourtant l’intrigue principale, mais les manœuvres du congrès soutiennent mal l’intérêt. La résolution de cette course à la chefferie fournira le dénouement du roman, alors que le retour final de Manuel ne servira que de coda ironique.
D’une certaine façon, il s’agit du plus intéressant roman de SF publié par Logiques, mais il emprunte beaucoup de sa force d’évocation à l’actualité et à l’histoire récente ; Lecours et son adversaire offrent un choix bien tranché entre l’indépendance dans l’ouverture ou dans l’intransigeance. La préférence de l’auteur pour l’option symbolisée par François Lecours peut sembler claire, mais Montambault n’exploite pas son rôle d’auteur pour fausser le jeu, sauf en éliminant d’avance certaines options, tel le fédéralisme. Une bonne part de l’attrait du roman réside dans les arguments politiques exposés avec une lucidité qui met en lumière les failles ou les lacunes. Les réminiscences historiques sont plus ennuyeuses ; le tableau est sommaire et superficiel, même si les parcours de Manuel et de son fils sont bien individualisés.
Certains faux pas, autant dans l’argumentation politique que dans la reconstitution historique, font douter de la fiabilité du texte. Ainsi, Manuel se fait presque intercepter par un hélicoptère de la garde côtière étatsunienne en 1949, alors qu’en 1948 celle-ci ne possédait que huit hélicoptères pour couvrir un littoral de près de huit mille kilomètres (pp. 16, 49). L’aventure de Manuel Cardoso, qui sert de comparaison et de contrepoint, bascule alors dans le domaine de l’exception et non de l’exemplaire.
Or, si le lien entre la fiction et la réalité casse, il ne reste presque rien. C’est de la science-fiction qui se veut démonstration, mais qui emploie plus souvent la généralisation que l’anecdote révélatrice. Il ne s’agit pas non plus d’une uchronie, les éléments du futur n’étant qu’esquissés, et à peine d’un thriller politique. L’auteur a beau avoir préparé une ironie finale, révélée à un chapitre et demi du dénouement, celle-ci se laisse deviner dès la page 167 (sur la foi d’un indice trompeur) et tout le monde ne lira pas le reste du livre rien que pour obtenir la clé de l’énigme. L’écriture elle-même est utilitaire et se distingue surtout par la justesse de ton des dialogues.
En fin de compte, l’auteur offre une analyse de la société québécoise d’après-guerre qui n’est pas très neuve et qui occulte certaines composantes de la société canadienne tout en privilégiant le Québécois « né pour un petit pain ». En même temps, il conte la lutte des immigrants du vingtième siècle et le fait avec une fraîcheur d’inspiration qui ne faiblit qu’à mi-chemin. Cependant, c’est le choix d’une fin ouverte qui constitue la suprême habileté du roman, renvoyant la balle aux lecteurs pour qui le livre pourra servir de miroir… Et c’est cette astuce qui sauve le roman de la moyenne la plus moyenne.
Jean-Louis TRUDEL