Paule Brière, Par ici la sortie! (SF)
Paule Brière
Par ici la sortie !
Montréal, Boréal (Boréal Inter), 1991, 123 p.
Ce n’est pas pour sa valeur intrinsèque que nous commenterons ici ce petit livre, hélas très représentatif de l’affligeante banalité qui est la règle dans le mainstream du roman québécois pour la jeunesse. Il s’agit d’un récit bavard où la narratrice est surtout préoccupée d’aller à la discothèque pour la première fois et de se faire un chum. Une œuvrette si quelconque que je n’ai pu terminer la deuxième lecture que je m’imposais par acquit de conscience.
Par ici la sortie me sert surtout de prétexte pour aborder un phénomène qui se répand depuis cinq ans en littérature de jeunesse : la publication de romans qui, en vertu de strictes définitions, devraient relever du fantastique ou (plus rarement) de la science-fiction, mais qui n’en ont ni l’air ni la chanson. Je m’explique.
La narratrice est capable de voyage astral. « Bien sûr, mon corps n’avait pas bougé, lui. C’est mon esprit qui est sorti faire un p’tit tour. » Ceci durant un cours de yoga – l’auteure, en passant, en est à son premier roman, elle ne s’intéressait jusqu’ici qu’aux rôles parentaux, à la maternité et aux sages-femmes, sujets sur lesquels elle a publié une manne d’articles.
Tout est dans le traitement. À part un étonnement initial, bref et modéré, la jeune Annie prend acte de sa singulière faculté et en fait tout de suite bon usage : elle « survolera » la classe, durant un examen, pour copier les réponses des « bollés », ou s’introduira en esprit dans la discothèque pour reconnaître les lieux et les us de ce monde inédit pour elle. Deuxième étonnement, aussi vite résorbé que le premier : Annie se découvrira capable de beaucoup plus : « Tenez-vous bien. Cette fois-là, mon voyage astral, ça a été un voyage DANS LE TEMPS ! Là, je vous en bouche un coin, hein ? » Annie mettra cette aptitude à profit pour voir à quoi ressemblait son prof de danse lorsqu’il était adolescent et pour découvrir ce que sa mère portait comme vêtements à son âge. Grisant, non ?
« Je suis partie un soir, couchée dans mon lit. J’étais toute seule, je ne savais pas quoi faire, je m’ennuyais. J’ai voulu passer le temps : juste une petite balade dans les alentours… » Ce pourrait être le prologue d’une aventure fantastique, vertigineuse. Il n’en sera rien : Annie est décidément terre à terre, typique en cela de nos adolescents, dont la majorité ne veut rien savoir de la SF écrite, trop fatigante pour l’imagination.
Tout juste Annie a-t-elle conscience de ce que sa faculté a d’inusité : « Vite, il faut que je lui invente quelque chose de toute urgence. Je ne vais quand même pas lui parler de mes petits voyages ! Elle est capable de comprendre tout de travers et je serais bonne pour un test de dépistage de drogue ! »
Par ici la sortie est donc au nombre de ces livres pour jeunes qui posent des problèmes de genre. On y rencontre le surnaturel comme motif normal, non intrusif. Une des définitions de base du fantastique a toujours été l’intrusion du surnaturel (plus généralement : de l’a-normal) dans la normalité ou dans l’ordre naturel. Or, dans des romans comme ceux de la série Camille et Dominique (Chevrette & Cossette, Fides), ceux de la série Wondeur (Jocelyne Sanschagrin), ceux de la série Bizarre (Francine Pelletier) ou encore Le Moulin hanté ou L’Étrange pouvoir d’Olivier (collection Papillon, Pierre Tisseyre), le surnaturel semble être admis comme naturel, du moins il ne cause pas de rupture de l’ordre naturel. Je n’ai rien contre ni pour, notez bien, je constate ; certains des romans ci-haut mentionnés sont par ailleurs excellents, comme on l’a vu dans nos chroniques antérieures. Mais dans Par ici la sortie, cette trivialisation du surnaturel me semble atteindre un nadir de banalité. On ne demande plus au lecteur une « suspension d’incrédulité » (suspension of disbelief), on en demande l’abolition ou, plus exactement, on décrète un non-lieu d’étonnement, le sense of wonder est mis au neutre, laissé au vestiaire pour cause d’inutilité.
Par là, la sortie.
Alain LORTIE