Jacques Côté, Les Tours de Londres
Jacques Côté
Les Tours de Londres
Montréal, VLB, 1991, 121 p.
Il y eut, jadis, celle de Trafalgar ; elle coiffait le titre d’une nouvelle gothique de Pierre-Georges Boucher de Boucherville parue initialement en 1835. C’était notre premier texte de fantastique, conviennent actuellement les historiques québécois du phénomène. Il y eut aussi, plus près de nous, celles de Babylone ; Maurice Gagnon offrait en 1972 un roman de science-fiction qui fit alors bien des délices et se mérita le prix de l’Actuelle. C’était par ailleurs probablement la première fois au Québec qu’un éditeur affichait sur une jaquette de livre le terme « anticipation ». Et il y a maintenant, depuis 1991, sur un fond brunâtre et brumeux. Les Tours de Londres de Jacques Côté qui se voudrait dans une veine semblable. Mais là peut s’arrêter la filiation.
Les services de presse donnent parfois des coups de sonde. On envoie à une revue, à un diffuseur, etc., un texte que l’on aimerait voir commenté. À tout prendre, on préfère qu’on en parle car il vaut mieux une critique négative qu’un silence mortel !
Le roman de Jacques Côté ne devrait peut-être pas trouver place dans les pages de Solaris, normalement. Pour le lecteur à qui il est parvenu, il ne s’agit pas de fantastique et encore moins de science-fiction. Mais il lui a paru intéressant de justifier sa classification, à titre d’exercice, puisque l’œuvre prétend manifestement, par certains aspects, relever du fantastique.
L’ouvrage est particulier. Il est composé de rimes et d’assonances dont la métrique varie considérablement parfois d’un vers à l’autre. Cependant, il y a bien des exceptions à cette habitude et elles se présentent sous forme d’échanges épistolaires en prose. Les chapitres, pour leur part, s’identifient comme « tours » et celles-ci se numérotent de 1 à 25 ! Les strophes sont d’inégales longueurs et ne portent de ponctuation qu’à l’intérieur des lignes, jamais à leur fin. Toutefois, ces signes réapparaissent au moment des dialogues et avantagent les répliques en leur fournissant une intonation directrice.
L’histoire (d’amour) démarre à l’île d’Orléans, se poursuit un temps dans les squatts de Londres, avec volupté puis avec quelques heurts, et s’effondre finalement en Crète. Lili « étudiait la littérature / Au grand dam de sa famille » (p. 10) et « Jules avait des prétentions d’auteur [et] aspirait à devenir réalisateur/Dans le domaine de la vidéo » (p. 11). Le couple s’envole rapidement et avec fougue vers la capitale des îles britanniques afin d’y cueillir la célébrité et le bonheur. Les jeunes gens s’y aiment d’amour tendre jusqu’à ce que Gros Jules commette des entourloupettes avec une Danoise. (Non, ce n’était pas une pâtisserie ! – L’auteur se paie aussi des calembours sur cet homonyme.) « Leur relation [à Jules et Lili] ne serait plus jamais pareille » (p. 65). Après quelques moments de rapprochement, Lili part seule vers Hania pour y prendre l’air et s’y laisser séduire, entre autres, par le soleil. Jules fera ensuite affectivement ses frais… du voyage vers l’île de Knossos.
C’est le séjour à Londres des deux protagonistes qui porte, dans le récit, le plus d’éléments fantastiquants. Mais la ville glauque, son métro « en perpétuelle mascarade fellinienne », ses discothèques de junkies, ses rats d’égout, ses appartements froids et humides, ses « rues sinistres où Jack l’Éventreur / Fit jadis des ravages la nuit avec un scalpel » ne convainquent pas d’une véritable atmosphère canonique. Pas plus que le film horrifique tourné par Jules dans le cimetière de « Highgate, le plus sinistre d’Angleterre ». Même si Lili semble parfois se laisser ; impressionner par certains espaces qui la font frissonner ataviquement, pour Jules « c’est juste des légendes ».
C’est sans doute ce refus quasi complet d’y croire qui affaiblit, jusqu’à la rendre non-crédible, la trame narrative à saveur fantastique de ce roman.
Un autre lectorat pourrait cependant y mettre plus de fantastique qu’il en est admis dans cette appréciation et alors Les Tours de Londres deviendrait l’illustration d’un fantastique moderne, compte tenu de ces interprétations divergentes. L’éditeur et l’auteur pencheraient-ils vers cette taxologie pour l’avoir suggéré en lecture à Solaris ?
Ce livre attirera vraisemblablement un autre public, celui captivé par les romanciers de la beat generation et leurs descendants. L’ouvrage de Jacques Côté s’inscrit, par sa faune d’itinérants et de paumés, dans cette tradition carnavalisante. Bien davantage que sous le mode fantastique (en dépit de la surdétermination du décor et du vocabulaire) à travers lequel il se souhaite apparemment interpellé !… Ce qui n’enlève rien aux autres mérites de l’œuvre…
Georges-Henri CLOUTIER