Lise Morin, L’Oiseau de feu (Fa)
Lise Morin
L’Oiseau de feu
Québec, Camédu, 1992, 107 p.
Depuis 1990, la Fondation Camédu, un organisme qui soutient l’éducation dans les pays du tiers-monde, organise un concours littéraire portant sur « La relève du conte ». Les œuvres soumises doivent avoir pour thématique les relations Nord-Sud ; le jury décerne trois prix dont le premier est l’édition de l’œuvre par les Éditions Camédu.
L’Oiseau de feu, qu’il ne faut surtout pas confondre avec l’œuvre monumentale de Jacques Brassard, est le texte gagnant de l’édition 1992 de ce concours, et l’auteure est Lise Morin, figure connue du milieu de la SFQ : elle écrit (« Le Plagiat » Solaris 63, entre autres), enseigne à l’université Laval et est membre de l’équipe de rédaction d’imagine…
Ce court roman est constitué de deux intrigues parallèles. Il y a tout d’abord Mamadou, le vieux sorcier d’une tribu africaine, qui lutte contre une épidémie qui est en train de décimer son peuple. Une lutte presque désespérée, car malgré toutes ses incantations magiques, les dieux ne semblent plus vouloir lui venir en aide.
À des milliers de kilomètres de là, le Québécois Jean-Alain Lavallée, un chirurgien réputé, spécialisé dans les greffes cœur-poumon, est en proie à d’étranges hallucinations. Un homme noir lui apparaît, face à un feu, dans un décor d’un autre âge, un paysage de palmiers et de huttes aux toits de chaume. Dans ces visions fugitives, l’homme noir semble lui demander son aide.
Cette curieuse expérience déclenchera une remise en question chez Jean-Alain : où a donc disparu l’idéalisme de sa jeunesse ? Lui qui se promettait, une fois médecin, d’aller pratiquer en Afrique, n’y a finalement jamais mis les pieds. Les circonstances de la vie l’ont gardé au Québec, où il est devenu un grand spécialiste. Vaincre la maladie est devenu pour lui un jeu personnel où il lui faut gagner – la souffrance humaine n’est qu’accessoire.
Ce premier roman de Lise Morin, sans être une grande œuvre, est fort agréable. Bien que les éléments fantastiques de L’Oiseau de feu soient accessoires aux peintures de deux milieux, l’appartenance de ce roman au corpus fantastique n’est pas discutée car la structure dramatique du roman s’effondrerait si on les retirait. Certes, à cause des contraintes du concours, l’histoire s’articule autour d’une thématique assez convenue – le contraste entre un pays riche et un pays très pauvre – mais l’auteure fait preuve d’une sobriété bienvenue dans le traitement, évitant les clichés larmoyants et culpabilisants. Le dialogue Nord-Sud n’y est pas une contrainte moralisatrice mais un appel à l’ouverture.
Au moins en ce qui a trait aux parties qui se déroulent au Québec, Lise Morin décrit, d’une plume posée qui n’est pas sans compassion, la « petite vie » de ce médecin en proie à l’insatisfaction d’une vie qu’il aurait voulu différente. La description du travail et les réflexions du médecin sont réalistes et, bien que les dialogues peuvent parfois manquer de naturel, la narration est souvent fort belle, comme ce passage qui se déroule à l’église après la mort de la mère de Jean-Alain. Quant aux parties situées en Afrique, je ne suis pas assez familier avec ce continent pour juger de leur authenticité ; l’important est que j’y ai cru, j’ai cru aux angoisses de Mamadou et à son désespoir face à l’incompréhension du « sorcier blanc ».
Le médecin finira par comprendre, et le roman se termine avec l’arrivée de Jean-Alain en Afrique. Mais nous sommes loin du happy end par le ton et la structure. Plutôt qu’une fin, c’est le début pour Jean-Alain, le début d’une nouvelle vie.
Retenue, écriture juste, traitement sobre d’un sujet difficile : je garde de cette lecture un sentiment positif. Je serai par contre sévère avec l’éditeur, les Éditions Camédu. En effet, non seulement la typographie fait preuve d’amateurisme (souligner les mots est un choix discutable, tout comme l’est l’utilisation de l’« Helvetica ») mais la couverture est d’une laideur consommée. C’est bien beau de « payer » le gagnant d’un concours avec la publication de son œuvre, mais faut-il encore que l’objet publié soit présentable. Je souhaite que pour la prochaine édition du concours l’éditeur fasse appel à un graphiste compétent. Lise Morin, en tout cas, aurait certainement mérité mieux.
Joël CHAMPETIER