Yves Meynard et Claude J. Pelletier (dir.), Orbite d’approche 1 (SF)
Yves Meynard et Claude J. Pelletier
Orbite d’approche 1
Montréal, Les Publications Ianus, 1992, 80 p.
Une nouvelle anthologie est née. Orbite d’approche se propose de faire connaître, deux fois par année, quatre jeunes auteurs de la relève québécoise dans le domaine de la science-fiction. Claude J. Pelletier préface brièvement le premier volume de cette série. L’aventure, témoigne-t-il, n’est pas sans difficultés. Les jeunes auteurs ne courent pas les éditeurs et la direction littéraire est exigeante. Mais l’éditeur a confiance dans ceux qu’il lance tout comme dans le public qui en accueillera les textes. La critique même enrichira les auteurs et les stimulera vers d’autres productions.
Celle-ci, hélas, a pourtant la réputation d’être éprouvante pour la modestie des découvertes. Bien des vocations d’écrivains se sont terminées à la première publication. (Voici une déclaration à faire frémir ou blêmir les voyageurs de cette Orbite d’approche initiale !) Attachez vos ceintures !
Car faut-il souhaiter vraiment que l’entreprise généreuse des Pelletier et Meynard se poursuive avec la régularité annoncée ? Et qu’elle fasse connaître ces « jeunes » auteurs dont la présente cuvée oscille entre la vingtaine anticipée et la quarantaine… participée ? Voyons voir !
Mario Tessier, passager entre deux âges, s’amène avec « Ad Majorem Dei Gloriam ». Ce « Pour la plus grande gloire de Dieu » met en vedette le Jésuite Joseph Péniel qui s’interroge sur les développements de la cybernétique. Dans un rapport secret destiné au Vatican, il explique la crise métaphysique qui a éprouvé sa foi lorsqu’il a été mis en contact avec un logiciel d’intelligence artificielle capable de multiplier ses capacités déductives en interreliant de nouvelles données aux anciennes. Le logiciel devient rapidement capable de conceptualisation. Le prêtre se voit obligé de reconnaître que le terminal électronique a non seulement une intelligence, mais aussi une conscience qui lui sont propres. Il cherchera, l’esprit missionnaire reprenant le dessus, à convertir l’âme cybernétique qu’il vient de découvrir.
La fiction spéculative de Tessier s’avère très intéressante et riche. Le scénario est probant, se déroulant dans un futur rapproché. L’Église s’y trouve confrontée à la problématique d’une intelligence artificielle autonome. L’hypothèse suggérée est loin d’être farfelue.
Le cadet du voyage orbital apporte dans ses bagages un personnage fantastique : Monsieur Delamort. Jacques et François l’avaient inventé dans leurs jeux d’enfant. Un méchant magicien avait transmis ses pouvoirs télékinésiques et sa psychopathie au shérif également issu de leur imagination. Longtemps, les enfants avaient gagné contre le mécréant, mais un jour François a subi un « accident » mortel. Depuis, Jacques est devenu adulte et le spectre composite est presque oublié.
Voilà que sept ans après la disparition du complice François, c’est le retour du vilain, plus puissant que jamais, qui vient régler ses comptes avec le survivant. Celui-ci s’enfuit avec sa compagne Clara. Delamort les rejoindra et exécutera Jacques. Alors qu’il s’apprête à liquider la jeune femme, arme et personnage se désagrègent.
Malgré un décor vaguement futuriste, la novellette de Frédérick Durand hésite entre la fantasy, le western et un cadre davantage fantastique. « Le Retour de Monsieur Delamort » n’est, par ailleurs, pas toujours cohérent : certains éléments, comparés, laissent perplexe. L’écrivain n’a pas encore vraisemblablement toute la maîtrise de son univers fictif. Il a la phrase très courte et le paragraphe bien bref, rappelant la technique d’écriture de nos défunts fascicules.
L’intrigue, à être plus élaborée, aurait peut-être pu gagner en profondeur et en consistance. Il faut étoffer davantage.
Le « jeune » Yves Meynard n’en est pas à sa première excursion en anthologie. Ianus l’a accueilli déjà dans Sous des soleils étrangers et Logiques dans Sol. Il est connu ailleurs pour d’autres collaborations. La notion de « débutant » paraît bien élastique dans ce cas-ci. La valise de Meynard est déjà passablement remplie et l’expérience de l’écriture se sent avec « La Rose du désert ».
C’est la « nouvelle » la plus longue de cet ensemble. Construit en trois parties sensiblement équilibrées, elles-mêmes subdivisées inégalement, le récit, malgré sa brièveté, s’apparente à la technique romanesque. Il y a de l’action, des rebondissements dans ce texte où, à la suite d’un accident, des voyageurs spatiaux survivent et évoluent en deux groupes séparés sur une planète désertique. Après douze cents ans d’oubli, c’est cette rencontre de deux cultures à laquelle nous invite l’écrivain, sur un fond de fantasy lyrique.
L’aîné de ce groupe, Marc Vaillancourt, a roulé sa bosse « sur » Stop, Moebius, Liberté, imagine… y offrant contes, nouvelles, poèmes. Pour ce périple-ci, il présente « La Cité des arts ». AR-15 est un phalanstère mobile où vivent une communauté d’artistes. Lucas n’en est pas un. Il est le technicien surveillant en fonction. Un jour, rien de va plus. La ville se remet à bouger, la nourriture est infecte, le système informatique ne répond plus. Lucas tente de résoudre les problèmes, puis tire sa révérence.
L’écrit tourne surtout autour de la vie du gardien, l’auteur en fait son personnage principal. Le titre laisse croire qu’il s’agit de la ville, mais la micro-société demeure somme toute secondaire. L’auteur a moins développé cet aspect. C’est un peu regrettable. Le concept du « phalanstère », emprunté à l’utopiste Fourier, aurait pu se mériter un traitement plus fouillé. La spéculation sociale avorte et le texte reste au niveau de l’aventure individuelle d’un anti-héros au tempérament démissionnaire. Soit !
En dépit de quelques attentes déçues – tout est matière de goût –, l’initiative de Meynard et de Pelletier est à répéter. Avec régularité. Orbite d’approche peut constituer une rampe d’accès appréciable pour de (vrais) jeunes auteurs qui viendront élargir et enrichir le fandom québécois. Orbite d’approche doit amener encore d’autres passagers vers la planète SF. Malgré les défauts, les lacunes, les ratés. À cause des mérites et des qualités de toute œuvre. Mais cette mission ne pourra se réaliser qu’en sortant les textes de la clandestinité des tiroirs. Messieurs dames, achetez vos billets… et envoyez-vous en orbite !
Georges Henri CLOUTIER