Ingrid Joubert (éd.), Accostages (Hy)
Ingrid Joubert, éd.
Accostages
St-Boniface, du Blé, 1992, 158 p.
La littérature d’expression française provenant des autres provinces canadiennes est peu connue des lecteurs québécois, et généralement négligée par les grandes maisons d’édition de Montréal. C’est pourquoi Accostages, une anthologie de nouvelles inédites publiée par les éditions du Blé, se révèle une si agréable surprise. La plupart des textes n’ont qu’un lien très ténu avec la SF, ou même le fantastique, mais la qualité d’ensemble de la sélection retenue est étonnamment élevée, et dégage une saveur toute particulière que l’on devine inspirée par les horizons sans fin des Prairies. « Les Rêves gigantesques » de René Amman, le premier des cinq écrivains ayant contribué au recueil, illustrent notamment en une série de 22 vignettes les liens étroits unissant les habitants de l’Ouest à la nature, et la détermination des premiers colons, venus s’établir si loin des centres urbains de l’Est, de repartir à zéro dans un monde nouveau. En une page ou deux, les récits d’Amman évoquent un climat, un endroit ou un visage avec la douceur des souvenirs ; ils trouvent leur meilleure incarnation dans « Grand-papa » qui, à la question de sa petite-fille, qui lui demande son âge, répond que « les années, je ne les compte pas, je ne les compte plus. Elles ne se perdent pas, comme les bonbons ou les souvenirs. Je ne sais pas, je ne sais pas quel âge j’ai ».
« Victime de la vie », de Pauline Johnson-Tanguay, renoue avec le drame paysan. Deux récits de Monique R. Jeanotte introduisent enfin une note de fantastique dans le recueil. « Le Violon » est on ne peut plus classique – la Mort frappe à la porte de la maison de Wilhelm, un soir de tempête, pour venir chercher sa femme malade – mais « À ma ressemblance » fait preuve d’un peu plus d’originalité, alors que Raphaelo, un nabot travaillant dans les catacombes du Vatican, découvre un disque de jade qui contient le secret des origines de l’humanité. Le récit nous mène de Rome à Bagdad et se lit avec beaucoup de plaisir, jusqu’à une conclusion fort bien tournée.
Avec « Monsieur Petitgilet », François-Xavier Eygun nous offre un récit très léger, mais plutôt amusant, alors qu’il nous raconte l’histoire aigre-douce de monsieur Petitgilet, professeur au primaire, qui ne trouve vraiment la paix qu’auprès des animaux du zoo d’Assiniboine, jusqu’à un jour disparaître parmi eux.
René Lafleur offre une dizaine de textes qui souffrent par endroit d’un style quelque peu ampoulé et d’effets de style gratuits qui distraient le lecteur sans pour autant enrichir le récit. Ceci dit, certaines nouvelles sont assez réussies, notamment « Phénix », un récit de SF qui rappelle par moment le film THX 1138, de Georges Lucas ; dans un monde informatisé, aseptisé, Nadia réclame le droit au suicide, ce qui perturbe l’ordre établi… Les dialogues, de même que l’évocation des lieux et l’angoisse du personnage principal sont écrits d’une main sûre. « Le Sort d’Henri B. », quant à lui, verse dans le fantastique à saveur diabolique, tandis que dans « Escale », les voyages spatio-temporels prennent la forme d’un lit d’enfant, « Correspondances », enfin, la dernière nouvelle du recueil, qui se voudrait (je crois) un exemple de fantastique moderne, est victime des trop nombreux effets de style gratuits qui alourdissent de page en page un récit déjà trop long et confus au départ.
Ceci dit, Accostages constitue une excellente anthologie, qui compense largement pour ses faiblesses passagères par d’autres pages tout à fait réussies, et qui a le mérite additionnel de nous faire connaître des écrivains francophones d’autres régions du Canada. Peu de SF ou de fantastique, donc, mais une lecture recommandée néanmoins. Je m’en voudrais également, en terminant, de ne pas mentionner les superbes illustrations en noir et blanc de Réal Bérard qui accompagnent chacune des nouvelles. Bérard avait réalisé, en 1990, le dessin animé servant de vidéoclip à la chanson de Daniel Lavoie intitulé « Jours de plaine », et sa contribution à Accostages fait de celui-ci un livre que l’on a autant de plaisir à lire qu’à regarder.
Jean-Philippe GERVAIS