Jacques Lazure, Monsieur N’importe qui (Hy)
Jacques Lazure
Monsieur N’importe qui
Montréal, Québec/Amérique (Clip, #14), 1993, 243 p.
Le lauréat du Prix Québec/Wallonie-Bruxelles 1993 nous livre ici neuf nouvelles fantastiques ou de science-fiction. Dans la nouvelle-titre, qui se réclame de 1984, les citoyens se font assigner une personnalité différente chaque matin. Dans « La Vallée pourpre », qui rappelle « La Planète Shayol » de Cordwainer Smith, des prisonniers sont condamnés à prendre soin d’une race d’hommes-tortues hantés par l’idée de la mort. Dans « Eschmalda, l’autre monde », un jeune rebelle pille des maisons incendiées pour se payer le voyage vers Eschmalda, un monde paradisiaque inventé par la publicité.
Un thème revient souvent dans l’œuvre pour jeunes de Lazure (deux romans et un recueil), celui du citoyen victime d’une machination de son gouvernement ou du pouvoir. Cette obsession me semble de moins en moins fondée. Ce qui nous menace est davantage l’incompétence, l’inertie et l’impuissance (ou la lâcheté) des gouvernements à agir sur les courants qui emportent la société dans des directions périlleuses.
Le recueil lance des idées intéressantes, potentiellement riches, mais quelques détails trahissent la faiblesse de l’élément science dans la science-fiction de Lazure, en particulier dans « Le Royaume hostile », histoire d’une expédition archéologique sur un astéroïde, où l’aspect scientifique frôle parfois le ridicule et s’émaille d’incohérences internes. Du reste, cette nouvelle est la moins bonne du lot, on a vraiment l’impression de lire un premier jet laissé en plan. Dans « L’Âge du sodium », sur le thème de la soif, l’auteur confond effet de serre et amincissement de la couche d’ozone.
De façon générale, et malgré quelques idée originales, l’imaginaire de Lazure en est souvent un de gadgets et de clichés. Exemple, « Les Yeux du diable », où un groupe heavy metal tombe sous la domination d’un mystérieux gérant dont le nom est une anagramme de Lucifer. Vous n’êtes pas tombés en bas de vos chaises ? Moi non plus.
Un des points communs de plusieurs de ces nouvelles est qu’elles résistent mal à l’analyse : les situations mises en place sont pleines de failles, de contradictions potentielles – comme le roman Pellicules cités, du reste. Est-ce parce que le format de la nouvelle ne permet pas de détailler le monde créé pour l’occasion ? J’ai plutôt l’impression que ces textes ne pourraient devenir romans parce que leurs idées de base ne supporteraient pas d’être fouillées davantage.
Derrière les mille et une petites imprécisions ou imperfections de l’écriture, on devine l’auteur de scénarios de téléfilms, pour qui la langue écrite n’a pas la même importance qu’aux yeux d’un écrivain, et pour qui une approximation suffit généralement puisque l’image suppléera au texte.
J’avais évoqué dans Solaris 101 ma déception devant le deuxième roman de Jacques Lazure. Monsieur N’importe qui – recueil hélas écrit n’importe comment – déçoit à nouveau et force la question : le tant acclamé Domaine des Sans-Yeux était-il un pur coup de chance plutôt que l’œuvre d’un écrivain talentueux ?
Alain LORTIE