Marc Godard, La Porte (Fa)
Marc Godard
La Porte
Montréal, Guy Saint-Jean, 1993, 299 p.
Dans une petite ville minière de l’Abitibi, d’extraordinaires homicides surviennent en série. Une incroyable puissance maléfique semble être à la source de meurtres à première vue inexplicables. Aux prises avec un constant débat entre les explications rationnelles et surnaturelles, quelques citoyens de Lost cherchent à mettre un terme au carnage tout en solutionnant ce terrible mystère qui dépasse l’entendement.
Lorsque j’ai vu pour la première fois l’imposant volume noir et rouge de Marc Godard, je me suis dit : « Tiens, un Stephen King québécois. » C’est donc à la fois avec plaisir et curiosité que j’en ai entamé la lecture. J’espérais secrètement y découvrir un potentiel auteur de talent, prolifique et plein d’idées nouvelles, qui allait me faire frissonner en ayant recours à un décor et à un imaginaire qui m’étaient familiers.
Avais-je fondé de trop grands espoirs en ce nouveau venu dont le roman avait déjà fait partie des finalistes du prix Robert-Cliche de 1991 ? Peut-être y a-t-il un peu de cela pour expliquer ma déception après seulement quelques pages lues. Mais quatre points négatifs sont par-dessus tout venus ruiner ce qui aurait pu être une respectable première publication.
D’abord, parlons du penchant de l’auteur pour des descriptions tout aussi inutiles qu’académiques. Tantôt usés comme les marches d’escalier de l’Oratoire Saint-Joseph, tantôt inspirés carrément d’un cours de stylistique ou encore d’un atelier de création littéraire, les descriptions et les portraits des personnages ont l’air grossièrement tirés du manuel du bon petit écrivain en devenir, tome I. Qu’il s’agisse d’un personnage important ou d’un inoffensif figurant de passage, Godard sort sa gamelle de peintre et prend un soin maniaque à décrire longuement la largeur d’épaules ou la forme du front de tout ce qui bouge, sans oublier l’agaçante petite phrase passe-partout nous permettant de connaître l’essentiel de la psychologie du personnage en un coup de rouleau. Avec une seule couche donnée en vitesse, il est évident que les défauts ressortent et que les personnages sont typés. « Dans la quarantaine, plutôt petit et grassouillet mais costaud, marié et père de famille respecté de tous, McAnson était un homme compatissant. » (p. 66). Cette phrase sortie de nulle part, censée nous faire connaître cet homme, arrive comme un chien dans un jeu de quilles. Je crois qu’elle nous en apprend moins sur McAnson que sur la qualité parfois douteuse de l’écriture de Marc Godard.
Or non seulement le narrateur trace d’un pinceau rapide les portraits physiques et psychologiques de chaque personnage, il va même jusqu’à révéler les confins de l’âme de ses concitoyens en jouant au dieu omniscient : par exemple, il dévoile les motifs secrets qui ont fait d’un homme ordinaire le curé de la ville où se déroule l’action. Le narrateur de La Porte, celui-là même qui expose les tréfonds de l’âme de chaque personnage, qui rapporte les pensées d’une victime en train de se faire sauvagement vider de son sang avant de s’évanouir dans la mort, qui raconte la scène d’un viol et d’un meurtre où il n’y avait pas de témoin, peut-il revendiquer l’identité d’un personnage de l’histoire et s’appeler Léopaul Ferrand ? Cet homme ordinaire, comment fait-il pour saisir dans le détail certains faits connus de personne sauf de Dieu Lui-même ? La narration passe sans crier gare d’un point de vue subjectif, celui du « je » de Léopaul, à un point de vue omniscient. Le « je » peut-il aspirer au savoir indéfectible du « il » ? Ce serait pratique dans certains cas, mais ô combien invraisemblable.
Après la démonstration de ces deux maladresses de composition, dois-je vraiment continuer cette critique ? Je ne sais trop si c’est la conséquence d’une gageure ou bien si l’auteur voulait étaler son savoir et sa vaste connaissance du fantastique, mais je crois que tous les sujets chéris des auteurs d’épouvante ont été abordés dans les 300 pages de La Porte. Il y est question de vaudou, de sorcellerie, d’envoûtement, de loups-garous, de fantômes, de vampirisme, de médium, de tireuses de cartes, d’hypnose, de sectes sataniques, de rêves prémonitoires. Et peut-être suis-je ici moins exhaustif que l’auteur. Ce déploiement, ou plutôt cette parade de thèmes fantastiques me paraît au départ pour le moins ambitieuse. Que dire de plus sans devenir sarcastique ?
Dernier reproche, les fautes de français. Je ne peux aller jusqu’à dire qu’elles rendent la lecture insupportable, mais je prétends que toute publication qui se respecte, peu importe sa prétention et sa nature, doit s’appliquer à offrir une prose un peu plus décente. On trouve ici des erreurs comme : « toute excitée » (p. 135), ou « Mon oncle dût prendre quelques minutes… » (p. 57). « Henry Garrant » devient une page plus loin « Henri Garrant » (p. 93 et 94), tandis qu’en page 130 on hésite à applaudir une phrase comme : « …à cause, entre autres choses, de leur éducation ou d’autre chose. »
De grossières erreurs, compréhensibles à l’étape du manuscrit, surtout de la part d’un écrivain en début de carrière, mais impardonnables dans un livre publié. Ç’aurait été le rôle de la direction littéraire de retarder la publication d’une œuvre encore immature, au lieu de brûler les étapes. N’est-il pas dommage que mon appréciation du roman La Porte me permette d’attendre la suite de l’aventure littéraire de Marc Godard chez Guy Saint-Jean Éditeur avec beaucoup de patience et bien peu de hâte ?
Simon DUPUIS