Michel Bélil, La Grotte de Toubouctom (Hy)
Michel Bélil
La Grotte de Toubouctom
Montréal, Québec/Amérique (Clip), 1993, 158 p.
Voilà un recueil qui laisse perplexe. La fréquente figuration de personnages enfantins avait souvent été notée dans l’œuvre de Bélil, de même que le caractère infantile de certains de ses textes dont l’unique propos semblait être un jeu sur les mots et les syllabes, apparenté au babil d’un bambin (voir les textes du Razzland, dans La Ville oasis). Cela faisait-il de Bélil, potentiellement, un écrivain pour jeunes plus talentueux qu’il ne l’était pour les adultes ? La Grotte de Toubouctom ne livre pas un résultat probant. Certains des nouvelles du recueil sont creusées de tant d’ellipses et composées de tant de fragments cryptiques, que bien peu de jeunes lecteurs les comprendront (la nouvelle-titre, par exemple, ou encore « La Maison aux quatre saisons », parue dans imagine… #10 et assez typique de l’hermétisme que privilégiait la revue à cette époque). Un autre texte avait été écrit explicitement pour les enfants (« Le Perrobot de ma voisine ») et touche mieux la cible (quoique la collection vise les 14 ans et plus…).
Je ne puis m’empêcher d’y voir un cas d’abdication partielle de la directrice littéraire (démunie face à la SF, de son propre aveu) : devant un certain nombre de ces textes, elle a dû s’avouer vaincue, n’y comprenant rien mais mettant cela sur le compte de son manque d’affinité pour le genre – alors, que ce sont les récits eux-mêmes qui étaient en cause, obscurs et fumeux.
Toujours est-il que – pour rendre compte un peu du recueil – l’auteur de l’île d’Orléans a réuni ses nouvelles en trois parties, « Entre ciel et terre » et Tremblement de terre » qui réunissent chacune six textes, puis « Terre, terre ! » avec la treizième nouvelle, tout seule, intitulée « Treize à la douzaine ». Le sens profond de ces regroupements m’échappe ; pour le connaître, je consulterai L’ASFFQ de l’année correspondante.
Quelques bonnes notes quand même. Une pour « Le Dragon qui aimait la saucisse », légère sans être insignifiante, avec pour l’ambiance des touches à la Greenwich (roman mainstream publié en 1981 chez Leméac). Une pour « Le Noëllier », texte plus conséquent et mieux écrit que la moyenne, où les personnages portent de beaux noms inventés (et qui ne ressemblent pas à ceux qu’un bébé béotuk donnerait à ses toutous), où l’écriture se fait évocatrice et forte. Et un coup de chapeau à Bélil pour sa maîtrise du texte bref, forme difficile s’il en est, de laquelle relèvent les cinq dernières nouvelles du recueil (dont l’énigmatique « Le Son du tam-tam », seul texte avec « Le Dragon… » qui me semble inédit).
April, Bélil, Côté et Sernine ont donc tous, depuis trois ans, réédité d’anciennes nouvelles. On en a fait la remontrance à Sernine, et on lui a reproché d’avoir parfois omis les références bibliographiques appropriées – absentes aussi du recueil de Bélil, au fait, où les nouvelles viennent presque toutes d’imagine…, de L’ASFFQ, de Carfax ou d’XYZ, sous le même titre ou sous un autre. Il sera intéressant de voir si Bélil et Côté se le verront reprocher eux aussi dans imagine…, Québec français et L’Année de la science-fiction et du fantastique québécois, ou si le fait d’être imaginoïde d’une part (Bélil), et auteurs de la ville de Québec d’autre part (Côté et Bélil), les mettra à l’abri de ce reproche (pour mémoire, la revue Québec français est publiée à Québec par une équipe proche de l’université Laval, tout comme L’ASFFQ).
Alain LORTIE