Paule Brière, Esprit es-tu là? (Fa)
Paule Brière
Esprit es-tu là ?
Montréal, du Boréal (inter), 1993, 151 p.
J’ai hésité quatre mois avant de me taper ce deuxième roman de Paule Brière ; si vous avez lu ma critique de Par ici la sortie, vous savez combien j’avais aimé. J’ai eu raison d’hésiter même si j’avais oublié à quel point le biais professionnel de Mme Brière pesait sur sa fiction. Tout ce qui est politiquement correct en matière de rapports humains et de relations amoureuses trouve en Paule Brière sa porte-étendard vertueuse.
Ainsi on trouve dans le premier chapitre une défense et illustration du condom, puis le roman passe au thème principal, un jugement des mœurs sexuelles de la noblesse médiévale à travers le prisme de la DPJ [Direction de Protection de la Jeunesse] vous savez, cette DPJ qui avait poursuivi un couple de parents de la Rive-Sud pour avoir photographié ses deux bambins nus au sortir du bain.
Avec l’intention déclarée de pourfendre la vision mythique que donnent de la chevalerie les adaptations disneyennes des contes de fées (comme si quelqu’un les prenait pour la réalité, de toute façon), Paule Brière se lance dans une charge contre tout le sordide de la vie au Moyen Âge – comme si elle espérait convaincre un procureur de la couronne de porter des accusations, et tout de suite. Contre qui ? Entre autres contre un obscur roitelet européen qui voilà mille ans aurait épousé une infante, princesse de douze ans – rien de moins qu’une agression sexuelle sur la personne d’une mineure. Sans compter la cruauté foncière des chevaliers et aristocrates, qui laissent leurs sujets mourir de faim et les piétinent lors de leurs chevauchées vers les champs de bataille.
Oui le Moyen Âge manquait d’hygiène, oui le chauffage et l’aération des châteaux étaient déficients, oui l’espérance de vie était courte, les maladies sévissaient cruellement et la famine n’était pas rare. En mettre tout le blâme sur des nobles parés de bijoux, ça me paraît un peu court, en plus d’être inexact : sauf les empereurs et les monarques de grands royaumes, toute la noblesse médiévale n’était pas nécessairement opulente. Et la rectitude politique n’aurait probablement fait obstacle ni à la peste ni au refroidissement climatique des neuvième et dixième siècles. Quant à la corruption et la tyrannie, les attribuer à toute l’aristocratie me semble aussi infantile que de croire à la joliesse étincelante des contes de fée à la Walt Disney.
Mais l’histoire ? Car il y a une histoire, à travers le prêchi-prêcha de cette Annie voyageuse astrale, déchirée entre son amour contrarié pour Charles-Yves et sa commisération pour l’infante aperçue en « voyage ». Brièvement : les voyages astraux de la narratrice lui ont fait voir le sort peu enviable d’une jeune princesse à sa nuit de noces avec un roi adulte et malpropre à qui elle avait été fiancée toute jeune. Annie se met alors en tête d’y faire quelque chose, mais elle ne sait pas quoi (elle n’y fera rien, d’ailleurs, le roman bifurquera). Entretemps son chum Charlie se drogue et c’est entre eux le sujet de disputes. Annie se trouvera aux prises avec la nécessité bien plus immédiate de sauver Charles-Yves des effets d’une surdose de mescaline.
Chambres en ville, je vous dis, le fantastique en plus. Car, bien que Mme Brière l’ignore sûrement, le recours à un phénomène surnaturel tel le voyage astral vers le passé annexe son roman au champ du fantastique même si le fantastique s’en passerait volontiers.
Et puis c’est confus, cette narration en je qui carbure à l’hyper-émotivité, qui sautille de la réalité au voyage astral, vers le futur lointain, le futur proche, le passé lointain. Seul l’usage des italiques pour les sorties astrales sauvent le récit d’une inintelligibilité complète. Dans les derniers chapitres, les vies de Charlie comateux et du chevalier Brunehaut laissé pour mort après un duel, sont jointes par un lien mental, ou astral, et Annie fait la navette de l’un à l’autre. Tout finira bien, la médecine moderne dénoncée comme impuissante et cruelle, c’est l’Ahmour qui ramènera Charles-Yves parmi les vivants. Bref, le Bel au Bois Dormant, par une auteure qui s’est moquée du conte de fée pendant 150 pages.
Je reste perplexe, mettons.
Alain LORTIE