Jean-Louis Trudel, Le Ressuscité de l’Atlantide (SF)
Jean-Louis Trudel
Le Ressuscité de l’Atlantide
Paris, Fleuve Noir (Anticipation), 1994, 184 p.
Juan Aztlán est un « réchauffé », un individu sorti de son cercueil cryogénique qui fera la connaissance de la Terre du 23e siècle. Bien que cette société future ne connaît ni la guerre ni le chômage, cela n’en fait pas une utopie pour autant. Dès son réveil, Aztlán doit lutter contre les machinations du médecin qui l’a réveillé, et se retrouvera confronté à la police et à des trafiquants. Une infirmière l’aidera à s’adapter à son nouveau monde. Mais la partie est difficile car Aztlán n’est même pas sûr que les souvenirs qu’il emporte du passé sont les siens. Qui était-il vraiment ? Un biologiste, dernier survivant de l’Atlantide ? Ou plutôt Jon Ricard, un mercenaire du 20e siècle ?
Certains livres sont aussi intéressants et importants à cause des circonstances qui ont vu leur publication que pour leurs qualités intrinsèques. C’est le cas, je crois, des deux romans de Jean-Louis Trudel publiés dans la vénérable collection Anticipation des éditions Fleuve Noir. Le premier était Pour des soleils froids, recensé dans « Les Littéranautes » du dernier numéro, et celui-ci est le second. La parution de ces deux romans n’est pas banale, et pas seulement parce que Trudel est le premier canadien francophone à publier chez Anticipation. Il s’agit aussi de réédition de feuilletons, écrit par un auteur encore très jeune. Pour des soleils froids a été publié en 1991-92 dans le fanzine Temps tôt, tandis que Le Ressuscité de l’Atlantide a paru de 1985 à 1987 dans les pages d’imagine…, alors que Trudel n’avait pas encore vingt ans. Dès 1987, on pouvait d’ailleurs lire dans L’ASFFQ 1986, sous la plume de Jean Pettigrew : « Le Ressuscité de l’Atlantide m’apparaît comme le premier véritable roman de SFQ qui pourrait figurer avec honneur dans le catalogue de la collection Fleuve Noir Anticipation (…) [Trudel est] un jeune auteur qui n’a pas fini de faire parler de lui, c’est du moins ce que j’espère au plus haut point. »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Pettigrew a eu du flair. Huit ans plus tard, Trudel a publié deux romans chez Anticipation, trois romans jeunesse chez Médiaspaul et quantité de nouvelles. Il écrit vite, il écrit bien, en anglais et en français, possède une véritable formation scientifique, et s’implique de façon très active dans le milieu. Ce jeune auteur qui n’a pas encore trente ans est d’ores et déjà un acteur important de la SF canadienne française, et on ne voit pas ce qu’il l’empêchera d’en devenir un des intervenants les plus importants.
Ayant établi clairement mes positions, il me faudra toutefois avouer l’ennui que j’ai ressenti, hélas, à la lecture du Ressuscité de l’Atlantide. En toute franchise, si je n’avais été obligé de le terminer pour en parler dans ces pages, je crois qu’il me serait tombé des mains. Qu’on me comprenne bien : ce n’est pas un roman mauvais. Bien des auteurs de SF (et bien des auteurs publiés chez Anticipation) auraient des leçons à recevoir ici sur la création cohérente d’un monde futuriste, et la complexité politique qui en découle. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un roman de jeunesse, nécessairement imparfait. Le problème n’est pas tant au niveau de l’écriture, car l’auteur a peaufiné le tout depuis ; c’est au niveau des réactions des personnages (auxquelles on ne croit pas toujours), des dialogues (lourdement explicatifs), et surtout de la progression dramatique (cahoteuse). À l’origine conçu et réalisé comme un feuilleton, un genre dont je ne suis pas friand, je l’admets, le roman en a malheureusement hérité des faiblesses. La structure épisodique privilégie l’action tumultueuse et les coups de théâtre au détriment de la tension dramatique, et les coïncidences à répétition forcent la crédulité. À cet égard, et c’est un reproche que nous pourrions faire aussi à Pour des soleils froids, c’est un roman qui démarre par à-coups, pour s’améliorer de plus en plus, comme si l’auteur affinait son projet en cours de route. C’est au point qu’en lisant l’épilogue, qui montre le héros arrivant sur Mars, je me suis dit en moi-même que c’était ça que j’aurais préféré lire…
Oui, plus j’y songe, plus je trouve que Le Ressuscité de l’Atlantide est un roman dont le principal intérêt est « historique », ne serait-ce que par la présence, déjà, d’éléments qui resteront centraux dans l’œuvre de Trudel : la création détaillée de monde, de société ; un intérêt pour l’aventure et l’action ; l’absence de complexes face à la littérature de SF anglo-saxonne ; l’ouverture aux autres cultures et son important corollaire, la recherche de l’appartenance, de l’identité, cette dernière thématique ne manquant pas de pertinence chez un auteur franco-ontarien.
Joël CHAMPETIER