Esther Rochon, Ouverture (Hy)
Esther Rochon
Ouverture
Beauport, Alire, 1997, 236 p.
N’allez pas croire que je juge les livres selon leur couverture, mais celles de la série des Chroniques infernales d’Esther Rochon se sont prouvées jusqu’à présent assez représentatives du contenu. Celle du dernier volume, Ouverture, est dominée par un motif morbide et mystique à la fois ; de plus, elle est imprégnée de lumière, suggérant l’imminence d’une révélation – ou à tout le moins d’un passage vers un Ailleurs riche en potentiel.
Les Chroniques infernales (dont ceci est le troisième volume) mettent en scène les enfers où se retrouvent après leur mort les damnés des mondes extérieurs. Rochon imagine une variété d’enfers (enfers mous, enfers cloîtrés, enfers de vitesse, etc.) qui seront visités dans la première moitié du livre par Lame (le personnage principal de la série jusqu’ici) et son époux hermaphrodite le Prince Rel. La deuxième moitié met en branle une intrigue à plusieurs fils qui ne se résoudra pas avant le prochain volume, et plus probablement pas avant le cinquième (et dernier ?). Le livre s’achève sur une montée de tension fort réussie et nous met en appétit pour le suivant. Ce dernier s’intitulera Le Rêveur dans la citadelle… Esther Rochon fait donc le lien avec l’univers de Vrénalik, ce qui ne laisse pas d’intriguer.
Plus satisfaisant que le précédant volume, qui parfois n’avançait pas très vite et dont la conclusion était quelque peu statique, Ouverture reste quand même calme, posé. Mais après tout, ses protagonistes sont dotés de vies extrêmement longues ; ils ont, sinon l’éternité, du moins des siècles et des millénaires devant eux. Leurs vies se déroulent à une cadence différente de la nôtre. Peut-être qu’en cette fin de siècle marquée par la nécessité d’aller toujours plus vite, nous risquons de ne plus comprendre la perspective tranquille et sereine de Lame, du Prince Rel et de leurs camarades. Qui d’entre nous aurait le luxe de passer un an dans une cité en ruines pour décoder le sens oraculaire d’un tableau inachevé ?
Il reste que le développement des Chroniques infernales est lent, ce qui pourrait décourager certains lecteurs. La tension propre aux intrigues palpitantes n’y est pas, mais on ne lit pas du Rochon comme un technothriller… Le style est un autre facteur potentiellement dérangeant, car il est délibérément très simple, ce qui détonne avec le sujet. Comme je l’ai dit à propos d’Aboli, c’est une idée qui se défend parfaitement ; sauf qu’elle contribue à éloigner les Chroniques infernales des normes de la « fiction de genre ». Alire se voulant une collection de littérature populaire, c’est un peu ironique, mais je serai bien le dernier à m’en plaindre !
La sagesse est l’un des thèmes de ce livre : la nécessité d’une perspective éclairée face à l’univers. Les écrits d’Esther Rochon ont toujours été les plus riches de la SFQ en ce sens, et ce volume continue dans cette tradition, sans jamais même, notons bien, s’approcher du prêchi-prêcha. L’influence de la tradition bouddhique sur les Chroniques infernales est claire même pour un parfait ignorant comme moi, mais je ne peux pas juger plus précisément de son apport. Certainement, le livre aura des résonances pour toute personne issue d’une culture chrétiennes ; ce motif des enfers où les damnés trouvent châtiment à leur mesure remonte au moins jusqu’à Dante. Par contre, la possibilité pour un damné de se racheter au fil des décennies ou des siècles, avec le concours des autochtones des mondes infernaux, c’est différent. Je vous laisse sur une phrase à méditer : « Le destin agit main dans la main avec la compassion ».
Yves MEYNARD