Alain Bergeron, Corps-machines et rêves d’anges (SF)
Alain Bergeron
Corps-machines et rêves d’anges
Hull, Vents d’Ouest, 1997, 370 p.
Ce qui est plaisant avec un recueil, c’est que l’on peut à la fois évaluer la versatilité d’un écrivain et ses thèmes favoris. Un recueil offre habituellement un éventail plus représentatif d’une œuvre littéraire qu’un seul roman, aussi parfait soit-il. Pour découvrir un nouvel auteur, mieux vaut un recueil varié qu’une seule histoire de quelques centaines de pages…
Ainsi, il y en a pour tous dans Corps-machines et rêves d’anges, le premier recueil d’Alain Bergeron, écrivain bien connu des lecteurs de Solaris pour – entre autres – sa chronique « L’Anachorète dilettante ». Du cyberpunk aux univers parallèles, avec pièces plus dures et autres plus subtiles. Plusieurs récits contenus dans ce livre sont déjà des classiques : on y retrouve plusieurs prix Solaris, Boréal, Aurora… Il s’agit manifestement de matériel de qualité et c’est à la fois une chance et un plaisir de voir ce matériel rassemblé en un seul volume.
En tant qu’objet physique, Corps-machine et rêves d’anges est assez impressionnant : 370 pages, couverture souple, grand format. Les lecteurs d’Escales sur Solaris savaient déjà de quel travail de qualité les éditions Vents d’Ouest sont capables, et ils ne seront pas déçus avec ce recueil. La présentation intérieure est aussi sans reproche, avec une mise en page aussi jolie que fonctionnelle. L’illustration de couverture maintient cependant la tradition Vents d’Ouest d’œuvres abstraites au lien ténu avec le contenu actuel du livre.
Lire une nouvelle de Bergeron est une expérience plaisante. Au centre de l’histoire, une idée solide ; autour, un style et un langage appropriés au contenu. L’auteur traite bien sûr d’univers parallèles de façon différentes qu’un polar futuriste. Ce qui est remarquable, c’est que malgré des situations littéralement hors de ce monde, nul n’est confus longtemps dans les univers de Bergeron ; les explications viennent rapidement, et il est rare d’avoir l’impression que le mystère est entretenu pour l’attrait du mystère lui-même. Bergeron possède « Le Talent », si rare, de dire ce qu’il faut dire aux bons moments. Les personnages rapidement bien esquissés se chargent du reste. On peut critiquer certaines conclusions un peu faibles (par exemple, celle du « Huitième Registre » manque nettement d’univers-centrisme) mais du reste, Bergeron se démarque de ses collègues en construction de nouvelles. On souhaiterait une introduction de l’auteur et des commentaires sur les histoires, mais ce qui est fourni parle par lui-même.
Thématiquement, on retire un fort sentiment de pessimisme et de mélancolie des treize histoires de ce livre. Les protagonistes survivent quelquefois à leurs épreuves, mais en ressortent souvent dans un état plus lamentable qu’au début. Les méga-corps et les empires déshumanisants – quelquefois l’univers même – ont le dessus sur l’individu impuissant quand ils ne provoquent pas ses propres malheurs. Les vétérans de la littérature SF d’ici sont sans doute habitués au ton, mais les transfuges de SF américaine éternellement optimiste auraient avantage à ne lire que quelques histoires à la fois, question de ménager leur moral.
Les amateurs de Bergeron seront comblés par Corps-machine et rêves d’anges, et ceux qui ne connaissent pas l’auteur seront certainement convertis par l’excellence des récits. C’est sans exagération que l’on peut considérer ce livre comme un des achats les plus sûrs de 1997 ; la variété des styles et des genres fait en sorte que tous y trouveront leur compte. Il ne reste qu’à espérer que ce livre serve de modèle aux lecteurs réfracteurs à la SF d’ici, aux auteurs débutants en quête de techniques narratives et aux éditeurs, pour que d’ici peu apparaissent en librairie des recueils semblables.
Christian SAUVÉ