René Beaulieu, Les Voyageurs de la nuit (SF)
René Beaulieu
Les Voyageurs de la nuit
Bromptonville, De l’À venir, 1997, 127 p.
Il est bien connu qu’une bonne partie de la production SF qui intéresse les lecteurs de Solaris est sous forme de nouvelles, qui sont publiées dans nombre de périodiques pas toujours facilement accessibles à tous. C’est pourquoi on ne peut que se réjouir de voir apparaître des recueils d’auteurs d’ici : non seulement cela promet une visibilité accrue aux écrivains, mais cela permet aussi aux lecteurs de retrouver sous une même enseigne les œuvres d’auteurs préférés.
Dans le cas de René Beaulieu, un recueil est probablement la seule façon de se procurer certains de ses récits difficiles à trouver. Ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de lire assez de nouvelles de Beaulieu pour de former une opinion éclairée sur l’auteur n’ont maintenant plus d’excuses : Les Voyageurs de la nuit réunit sept récits de l’auteur, dont deux inédits et de nouvelles versions des cinq autres.
Sans pour autant donner dans l’amateurisme, la présentation du livre est un peu décevante pour ceux habitués aux gros éditeurs américains, avec typographie peu spectaculaire et illustration couverture monochrome. Mais comme il s’agit de micro-édition, c’est assez réussi. D’autant plus que ce qui est à l’intérieur est aussi raffiné que ce que l’on peut trouver ailleurs.
Car, on s’en doutait déjà, Beaulieu écrit fort bien. Avec un vocabulaire souvent poétique et un très fort sens de l’ambiance, il réussit à créer une SF bien distante des stéréotypes antiseptiques. N’écrivant jamais des exercices littéraires vides de contenu, il allie style et sujet de façon très efficace.
Une histoire occupe à elle seule une cinquantaine de pages et cinq des textes font moins de six pages. Ironiquement, les histoires les plus courtes de ce recueil sont celles qui ont le plus d’impact. En comparaison, la plus longue nouvelle du volume souffre du manque de l’effet-surprise des courts textes. Inversement, la longueur réduite des récits rend difficile l’élaboration d’une intrigue soutenue. Retournements et péripéties sont absents, ce qui fait de certains textes des vignettes plutôt que des histoires. L’effet est curieux : même après sept récits, il est difficile de se faire une opinion définitive sur Beaulieu. Les dédicaces piquent la curiosité ; il aurait été plaisant de lire des commentaires de l’auteur sur ses nouvelles.
De ce qui est présenté, on garde heureusement l’impression qu’il s’agit de textes bien complets, avec longueur et conclusion appropriées. Mais il serait intéressant de voir Beaulieu s’attaquer à des textes de longueur intermédiaire. Peut-être pour la prochaine fois ?
On remarque au niveau thématique une ironie très noire chez Beaulieu, qui – entre autres – égratigne au passage le roman SF militaire héroïque classique et les histoires de fantômes. Ses protagonistes sont souvent introspectifs et isolés par des forces qui échappent à leur contrôle. L’issue la plus probable est la folie et/ou la mort. Dans plusieurs cas – c’est très subversif – celle-ci semble être une libération plutôt qu’un événement tragique : une des histoires s’intitule « Les Survivants envieront les morts », une autre s’inspire des ateliers d’écriture d’Élisabeth Vonarburg en commençant par la phrase : « Il y a dix ans que je suis mort ».
En somme, le défaut le plus frappant de ce livre est sa longueur : non seulement est-ce un livre plus court que ce à quoi nous sommes habitués, mais le niveau d’écriture est tel que l’on peut facilement en vouloir plus. En lisant la bibliographie à la fin de l’ouvrage, on peut constater que Beaulieu revient à la SF après quelques années d’absence. Il est à espérer que sa production prenne de l’ampleur. Avec un peu de chance, Les Voyageurs de la nuit devrait y contribuer, car c’est une légion de nouveaux fans que René Beaulieu devrait attirer avec cet ouvrage…
Christian SAUVÉ