Joël Champetier, Coeur de fer (SF)
Joël Champetier
Cœur de fer
Le Plessis-Brion, Orion, 1997, 143 p.
Vous me pardonnerez de débuter ainsi mais, à ma connaissance, il s’agit du premier recueil d’un auteur canadien francophone à paraître en France depuis Janus d’Élisabeth Vonarburg en 1984. Félicitons donc les éditions Orion pour cet excellent coup et André-François Ruaud pour le choix des textes, car ce recueil est bien fait, agréable en main et diablement bon !
Qu’on en juge par le sommaire que les Québécois reconnaîtront, plusieurs de ces nouvelles ayant associé leur auteur à un prix Boréal, un prix Aurora ou au Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois. Des cinq nouvelles et novelettes proposées, quatre sont des extrapolations sur des idées scientifiques de pointe ; le résultat aurait pu être barbant n’eût été la facilité de l’auteur à présenter simplement des concepts pointus.
Parlant de concepts pointus, regardons « Cœur de fer » où Champetier, tout comme David Brin dans Earth – au jeu des comparaisons, c’est peut-être l’auteur américain auquel on peut comparer le plus Champetier –, postule la présence d’un trou noir au cœur de la planète. Un ingénieux véhicule, l’Aiguille – on a droit au dit véhicule comme illustration de couverture –, permettra à une équipe d’aller constater de visu quels dommages il peut causer au noyau. Comment ? En se servant du même atout que le trou noir, à savoir sa densité. Et tout comme une pierre s’enfonce dans l’eau, l’Aiguille « coulera » jusqu’au cœur de la planète, au cours d’un voyage fascinant qui nous change de celui de Verne.
« Survie sur Mars » et « Karyotype 47, XX, + 21 » offrent, eux aussi, des idées de base fascinantes. La première novelette nous parle des problèmes qui affligent une base martienne. Sans rien dévoiler de l’intrigue, puisqu’elle est policière et « à chute », sachez qu’elle est haletante et qu’elle entrelace efficacement données scientifiques et psychologiques. Parue initialement en 1988, c’est un texte qui garde toute son efficacité dix ans plus tard alors que la planète rouge revient à l’honneur. Dans la deuxième, l’auteur jongle avec une question morale capitale : doit-on stériliser les personnes lourdement handicapées ? Sujet difficile s’il en est. Champetier expose bien la problématique lors du procès d’un chirurgien qui a stérilisé sans son consentement une femme trisomique. Bien étayé et sans parti pris, ce texte vous assurera, pour peu que vous lisiez en groupe, des heures de conversation endiablée.
Les deux derniers textes offrent un aperçu de l’humour particulier de Champetier et de sa prédilection pour les envers de décors. Dans « Ce que Hercule est allé faire chez Augias, et pourquoi il n’y est pas resté », un space opera classique où une flotte de l’empire vogue vers une colonie récalcitrante, l’auteur base son intrigue sur une boutade : que faire lorsque les toilettes d’un vaisseau spatial débordent ? Une histoire fumante, si vous me passez l’expression ! Quant à « Visite au comptoir dénébolien », la parodie est poussée encore plus loin, l’auteur se plaçant délibérément – avec sa compagne de vie, Valérie – comme personnages principaux visitant une « grande surface » extraterrestre passablement déconcertante.
Enfin, mentionnons que cet excellent recueil se termine sur un entretien avec l’auteur qui permettra aux amateurs européens de mieux connaître l’un de nos meilleurs écrivains de science-fiction.
Jean PETTIGREW